André Velter, le poète voyageur
- Ginette Flora Amouma
- 19 juil. 2024
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 janv.
Il est né en 1945 dans les Ardennes comme avant lui un autre de ses concitoyens, Arthur Rimbaud et un autre, René Daumal.
Comme eux, il est très tôt aspiré par un souffle puissant qui ne faiblira jamais. Comme eux, il est chaussé de sandales du vent.
Poète et fils de poète, le romanichel des routes, n’ayant pour habitat que la roulotte de l’horizon, il se sent traversé par l’air du large quand il sillonne les régions de son pays natal avec ses parents. La Bretagne, la Provence puis l’air de l’altitude le saisit dans les roches calcaires du Massif Central. Son père lui apprend que chaque chose « révèle » son potentiel de naturel et d’imaginaire.
De cette itinérance, il en garde le goût salé, l’ivresse addictive, la curiosité des grands espaces inexplorés. Marcher hors des sentiers battus, c’est son véritable héritage. La sédentarité lui pèse. Il s’organise une vie ponctuée de voyages lointains, de séjours isolés contrastant avec ses retours où il s’immerge dans un labeur pharaonique.
De représentations en émissions radiophoniques, de publications d’ouvrages poétiques et de récits et d’essais, il se fixe pour objectif de faire entendre une voix.
Concerts, oratorios symphoniques, pièces de théâtre où la poésie devient un contrepoint, des voix entrelacées pour un dialogue baroqueux, son cri d’homme trempé dans la couleur du monde retentit. Il se veut pèlerin mais aussi conteur de l’altitude et récitant de musique intérieure, l'aveu lyrique de l’homme blessé mais jamais abattu.
1/ La poésie de 1963 à 1975
Le goût de l’écriture poétique en tant que cri du cœur et révolte, braises et remous des blessures, s’allie chez lui avec l’échappatoire, la disparition dans les terres les plus lointaines, les plus inaccessibles comme pour se ressourcer à la première aube, à la signification de l’origine. Il veut « vivre en poésie » . Le roman ne le tente pas :
« Je ne suis pas assez patient pour écrire un roman. »
Il écrit des recueils de poésie dont les titres sont éloquents et parlent de la nature de sa démarche, de sa tenue de langue « La vie en dansant ».
Après avoir fait ses humanités dans le quartier latin à la Sorbonne où il noue des amitiés, côtoie les écrivains, fréquente les milieux littéraires, il devient libraire à « La joie de lire »
Il écrit Aisha édité chez Gallimard en 1966.
De l’âge de 27 ans à 30 ans ( 1972-1975), il écrit de la poésie. « L’irrémédiable », « Dépaysement »
Il réalise des livres d’artistes, il publie « Le livre de l’outil » et « Les outils du corps »
La poésie chez André Velter est une voix, un dialogue avec lui-même.
Qu’il voyage ou qu’il dialogue avec un inconnu mais qui est son semblable, il l’exprime par la poésie.
C’est le premier passage vers une écriture poétique personnelle qui le mènera vers d’autres vecteurs d'expression artistique comme le spectacle chanté, le concert, un faisceau d’âmes dont il aime s’entourer d’où jaillit le cri de la terre, celui qui est le combat avec lui-même.
Il parle du feu qui le mine, il parle de la connaissance par l’autre qu’il transforme en être poétique, il ramène tout à la puissante énergie qui flambe en lui.
« Chaque individu est un univers et le feu c’est la matière qui le nourrit . »
« Passant, il ne s’est rien passé
Ne t’arrête pas
Les stèles, les mausolées et les temples
Célèbrent de tristes songes
De mon corps sans vie est né un feu de joie »
Cette poésie s’intitule Epitaphe comme si le poète voulait que ce soit les seuls mots qu’on inscrive sur sa dépouille.
Il a besoin de lire la poésie, la sienne, celle des autres.
Lire à haute voix la poésie, en faire une composition symphonique, un oratorio, c’est la façon d’évoluer du poète.
« Poésie studio », » Orphée studio », c’est le lieu qu’il choisit pour partager avec son public ses illuminations.
Son œuvre poétique, c’est la délivrance de la voix qui contient sa révolte, ses blessures, son amour, sa joie, ses sentiments et ses émotions. On frôle le récitatif lyrique des anciens opéras.
Il voudrait être l’inventeur d’une oralité nouvelle en créant régulièrement avec des comédiens et des musiciens, de somptueuses polyphonies. Par la voix chantée, on peut enchanter le monde.
Les titres de ses recueils de poésies disent mieux que des paroles l’incandescence de son univers. « Séduire l’univers », « La vie en dansant » , « Tant de soleil dans le sang »
« Prendre feu » « Jusqu’au bout de la route » « Pour un peu plus de ciel » « Le haut pays »
« Je cherche
L’autre monde sur terre
Et sur terre, mon écho »
Voyages
A partir des années 1976 et jusqu’en 1985, pendant dix années, il entre dans une démarche où l’altitude, la solitude, l’amplitude des espaces et des cieux reviennent le mordre.
Il fait de longs séjours en Afghanistan, des séjours qui peuvent durer de trois à huit mois d’où il rapporte des récits et des chroniques de vie. Il écrit « Les bazars de Kaboul » et « La poupée du vent ».
Puis il affronte les chaînes de l’Himalaya, ses territoires austères, ses bouts de terre accrochés aux falaises comme le Ladakh, le Sikkim où les monastères sont ciselés à flanc de montagne. Le Népal, la vallée de Spiti dans le district de Lahul et Spiti située dans les montagnes de l'Himalaya.
Ce qui lui donne l’occasion d’écrire des ouvrages sur les déserts, sur les hauteurs inaccessibles, sur l’infini qui paraît d’autant plus lointain qu’il peut être vu autrement.
« Peuples du toit du monde » « Haut pays »
"Le Haut-Pays est le troisième pôle de la terre : là où les boussoles s'essoufflent et perdent leurs repères, là où s'ébauche un réel aimanté.
Ce qui s'éprouve alors, c'est l'expérience du lointain et du proche, de l'infini, de l'infime, de la plénitude et du manque. Il y a tout ensemble le jeu des muscles, l'ivresse des visions, le silence, la solitude, la montée des mots ou des chants. Il y a aussi comme une traque fervente qui s'exalte, s'irrite, s'émerveille de son propre mouvement."
Et d'autres recueils suivent pour parler de ces voyages du bout du monde :
« Ce qui murmure de loin » « Une fresque peinte dans le vide » « L’archer s’éveille »
Il fonde la Nouvelle Revue Tibétaine.
Après un voyage, il revient porteur d’une solitude éprouvée, d’une solitude ébranlée, d’une solitude qu’il a besoin de transmettre, s’immergeant dans des concerts, des spectacles, des émissions de radio où il parle, raconte, se délivre de lui-même.
Il est déjà voyageur de mots, des paroles lancées à tous vents où tout vient s’abreuver musique et chant, poème et récit. Ce voyage, il l'emmène dans ses bagages.
Il est le poète de toutes les générations, il a besoin de donner des concerts, de former des cénacles pour que chacun de ses pas devienne une raison d’exister pour la célébration d’une communion avec les autres.
La poésie devient aventure jusqu’au bout du monde où il y recueille les poèmes des femmes anonymes, la poésie des étrangers, la poésie du monde que voit l’enfant tombé dans un vide qu’il remplit au contact des autres.
L’enfant, celui qui n’a pas encore trempé dans le glauque bouillon de la réalité fumeuse, qui ignore encore l’apparence, les non-dits, les conventions, la retenue dans l’observance de codes auxquels toute sa vie le poète tente d’échapper en partant refaire le monde et y installer le sien.
Années 1985-1995
Homme de radio, il produit des émissions sur France Culture dans Poésie sur paroles. Il donne des récitals poétiques d’un genre nouveau. Il inaugure la poésie sonore :
En 1991, il crée « Le grand passage »
En Avril 1992, c’est l’oratorio rock avec « ça cavale »
En Juillet 1992, c’est le poème polyphonique « Farine dorée et feuilles de laurier » qui est présentée à Montélimar.
Il donne son premier spectacle au quartier Latin.
Et ensuite il produit des récitals poétiques. Comme ci-dessous la lecture d'un extrait de "Trafiquer dans l'infini"
Il continue d’écrire « Ouvrir le chant » mais très vite, il chausse ses sandales du vent pour repartir loin, très loin en prenant la route de la soie, passe par l’Inde et le Yemen puis la Thaïlande, la Birmanie et attiré une fois encore par " Le haut pays ", il repart pour l’Himalaya et le Tibet.
Il voudrait être au-dessus du sol, en apesanteur, en lévitation.
Sa poésie va vers la prose qui devient poétique, cercle incessant dans lequel il arrondit ses fins de rythme.
Car il y a cette musique à laquelle il reste attentif, la mélodie, la scansion, l'ostinato, le baroque où se superposent deux mélodies comme pour justifier un dialogue.
Et la voix devient singulière car elle porte la quête qui motive toute écriture de la poésie.
Quelle quête chez André Velter ?
Il parle de dépaysement, de déplacement des limites, de la surprise qu’une terre autre puisse exister ailleurs dont il cherche à prendre quelques lambeaux.
Et quand l’amour survient, c’est le levier de la transcendance. Cette surprise également le porte jusqu’au bout de lui-même..
La mort, comment survivre ? La poésie devient alors oxygène, pour éviter l’absence,
« Le soleil noir de soi » , le poète parle et dit ce qu’il a toujours dit dans un continuo, une quête sans cesse réinventée, recherchée.
Car voyager c’est aussi explorer. Et le poète s’explore, regarde ce qui se passe en lui, comment la lucidité peut écraser la lumière, comment le cynisme peut vider l’âme, combien il faut de résurrection perpétuelle de soi-même pour redevenir l’être premier que le poète cherche à entretenir.
Et maintenant ?
Il aime les paysages lumineux de la Provence où il séjourne, le lyrisme des altitudes, la vie comme œuvre poétique.
Et ce qui le motive, c’est la relation lyrique à l’autre. Ses amis meurent, ceux qu’il a côtoyés, rencontrés ne vieillissent pas mais partent. Le 23 novembre 2022, son ami Christian Bobin meurt. Il écrit quelques mots avec pudeur car il faut transfigurer l’absence.
« La mort de Christian Bobin, le magicien de l’enchantement simple a ouvert tant de portes dans nos cœurs, tant de portes ouvertes une à une qui par miracle n’ont jamais pu se refermer. »
Bien plus tard lorsque la blessure cesse de saigner, il fait une lecture symphonique d’un extrait du livre de Bobin : « Le huitième jour de la semaine », aidé par un groupe de jazz qui en assure la couverture musicale :
« La beauté est l’ensemble de ces choses qui nous traversent et nous ignorent, aggravant soudain la légèreté de vivre » ( C.Bobin )
Si l’Himalaya le fascine toujours, il se dit que les Monts de Provence sont tout aussi purs et plus accessibles, les ans le trouvant propulsé à leurs pieds.
Il rompt avec ses activités éditoriales chez Gallimard et s’il ne résiste pas à l’appel de sa voix quand il organise concerts, récitals et festivals, il sait qu’il peut écouter le silence qui est une autre voix bruyante dans la rumeur des oliviers.
Comme Rimbaud, son concitoyen, il étincelle et parle pour porter son étincelle, le lien qui revivifie, qui libère. C’est aussi chez l’autre que se trouve l’autre étincelle.
Tout dire d’André Velter tient de d’une ascension acrobatique.
Il a reçu des prix, des hommages, Prix Goncourt, Prix Apollinaire, Prix Mallarmé.
D’innombrables récitals, concerts et participations à des festivals dans le monde font de lui une figure atypique du monde poétique.
Restent cette voix, ces mots, ces aveux à la limite de l’indicible quand le poète réinvente sentiers et accès vers d’autres passages pour parler de l’incroyable empathie humaine qu’il développe dans son œuvre.
Ginette Flora
Juillet 2024
Superbe découverte ! ....j'ai adoré, Ginette ! ❤️