"Bergers "ou le film des nourritures pastorales
- Ginette Flora Amouma
- 8 avr.
- 3 min de lecture

Mathyas est en Provence et loge dans un hôtel. C’est en regardant par la fenêtre de son logis les sommets des Alpilles qu’il annonce par téléphone à son patron qu’il démissionne de son travail de publiciste à Montréal. La raison ? Il change de vie. Le film commence à ce moment.
Ce qu’il a quitté ? On le devine. Le film dont la sortie en France est prévue pour le 9 Avril 2025, est tiré du roman de Mathyas Lefebure « D’où viens-tu berger ? », paru en 2006.
La structure narrative se situe non pas dans la narration de ce qu’il a quitté mais dans la quête d’un ailleurs. On comprend le propos quand on s’aperçoit que toutes les images qui défilent dès lors sont des pas. Tout marche, tout monte, tout gravit des pentes, des versants pour atteindre des hauteurs.
Mais avant cela et c’est l’action du film, il faut surmonter, franchir les étapes de cette ascension. Cette phase de construction, de heurts sur le monde matériel est le nerf de l’histoire.
Pour toucher le sommet, se retrouver sur les crêtes du surpassement de soi, il faut apprendre auprès des hommes, de ce qu’ils donnent, de ce qu’ils ne donnent pas.
C’est ce que comprend Mathyas quand il réalise le dur labeur des bergers qui est aussi ardu et contraignant sinon plus que son travail dans un cabinet de publicistes dans une ville affairée, grouillante de véhicules, de foules, d’affiches criantes de sujets à s’approprier, d'heures de pointe à gérer et de voix inaudibles à force d’être cacophoniques.
Dur et pénible quand il doit se soumettre à la loi et aux codes des bergers, quand les animaux n’attendent pas, quand les pâtures se chargent de moutons, que le printemps arrive dans les montagnes et que la transhumance est un art de conduire les bêtes, une technique qu’il lui faut intégrer.
Certes il lit, il étudie le pastoralisme, le métier de berger mais lire est une science, travailler est un combat avec la dureté des hommes, la fatigue des corps, l’apprentissage des astuces du quotidien qui ne sont pas écrites dans les pages des livres.
Alors il se livre aux hommes, à leur connaissance des jours montagneux. Le métier de berger, il est dans le sang, dans la tradition, dans la transmission.
Il se soumet, il n’est pas venu pour regarder vivre les étoiles, il va au devant des animaux, des centaines d’animaux, il se colle à la rusticité de la vie des alpages. Il découvre la fidélité d’un chien, le véritable guide de la montagne.
Les regards sont inquisiteurs, on le jauge. Tiendra-t-il la route ? Commence-t-il à renoncer, à douter de l’élan qui le propulse vers l’appel de la montagne et qui l’a conduit dans les Alpes ? Que signifie cette voix intérieure, la cause de la brusque décision prise d’aller vers un métier dont il ne sait rien ?

© cinefil- bergers 2025
C’est en comprenant qu’être berger, c’est avant tout entrer dans les rouages d’un métier que Mathyas éprouve en lui une forme d’assurance comme si un désir de liberté venait affleurer son esprit.
L’élément déclencheur sera la rencontre avec Elise, celle qui porte la lumière, celle qui éclaire une varappe, un besoin de vivre d’un métier qui lui fait atteindre les cimes d’un espace incomparable. Il voit dans les cieux inoccupés, des zones fertiles et dans les terres uniquement peuplées de forêts, de rochers, de ronces et d’herbes, le pays à connaître.
Elise

© ledevoir.com- images du film
Elle aussi a tourné le dos aux effarements de la vie citadine et a trouvé un moyen terme pour réconcilier les deux bords d’un joug convenu.
Montagnes et clarines lui conviennent. Elle s’isole dans son bureau de coordinatrice des paperasses des bergers.
Tous deux acceptent de mener des centaines de moutons vers les alpages. Compter les heures, il n’y en a pas. Quand il faut manger et boire, c’est le pain et le fromage d’abord puis se nourrir de fruits et de légumes. La cabane des bergers pourrait sentir la lavande mais c’est le foin qui somatise, puis l’herbe sèche, le bois attendri et le silence habité par une présence qui n’est ni hostile ni docile mais une présence qu’il faut apprivoiser.
C’est pour elle, c’est pour cette présence que Mathyas gravit les montagnes tout en découvrant que ce sont les siennes, celles qui sont intérieures, celles qui sont la réponse au choix qu’il a fait d’être un berger.

© ellequebec.com- images film bergers
Ginette Flora
Avril 2025
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