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Photo du rédacteurGinette Flora Amouma

Ceux qui savent ...


Ceux qui savent ne le diront pas et cacheront leurs grimoires dans les crevasses des rochers froids, râpeux et imposants à la mesure de l’importance des aveux jamais dévoilés. Ils les ont posés sous les pierres couvertes de lichen glissant. Personne ne toucherait au gras fuyant d’énigmes sous les doigts qui renoncent à poursuivre leur quête malgré les questions qui s’amoncellent sous les tumulus à la tonsure verdâtre.

Ils les ont enfouis sous les tertres entourés de dolmens impassibles, lézardés, ténébreux. Aigris sont les rocs de recevoir tant de secrets qui vont s’ensevelir aussitôt sans avoir été jamais consultés. Ceux qui savent les recueillir sans les prononcer s’emmurent dans les lacis d’un labyrinthe de mots inaudibles. C’est ainsi qu’ils recueillent les derniers râles des pêcheurs venus s’échouer sur la grève, un flux et un reflux jouant sa cadence depuis des années qu’on dit innombrables. Marins silencieux venant déposer leurs trouvailles, parfois en mots, parfois en galets, si ce n’est en galets, c’est en conques, les perles allant rejoindre les récifs de la lande mutique. Enveloppés de brume, refusant d’en dire davantage, les végétaux landicoles mis au parfum installent une insaisissable peur qui sourd de toutes les racines des sols desséchés. Les callunes se raidissent nouées par les serments éternels. Sur les tables de cairns se couchent des missives défuntes. Quand passent les engoulevents, les lettres grignotées de goémon tombent des falaises indomptables.

Ceux qui savent ont confié parfois aux vents leurs craintes quand las de porter le poids des mots, ils ont lu à haute voix ce qu’ils n’avaient jamais pu dire à voix basse. Et l’air bruisse de paroles transportées dans les sifflements lugubres des noroîts.

Quel effarant danger quand ce silence oppressant tourmente ceux qui ne savent pas ! Ceux-là chercheront à déchiffrer ce que la lande sèche reçoit jour après jour dans les griffures du sable, l’écume crénelée charriant l’effroi qui s’accumule. Des cris de frayeur se répercutent dans la solitude des espaces cachottiers. Les vagues couvertes d’éraflures hurlent. L’angoisse tambourine sur les falaises de grès. La fureur brûle l’herbe d’or, craquèle la serpe qui fendille les rochers, déchiquète les broussailles échevelées. Au creux des cairns se cachent les mots d’avoir été trop murmurés, ces mots qui s’agglutinent aux genêts sauvages. On entend trembler les soubassements de ces nuits où se prépare l’élixir qui sécrète la sève discrète qui les embaumera.

Dans les fourrés denses se blottissent les conciliabules contraints d’avoir pris en filature les passeurs d’âmes poussant la charrette grinçante aux chaînes bruyantes. Tout se rapproche de l’entrée non protégée. Je m’en vais jusqu’au bord du hasard là où la mer semble se jeter dans le ciel.

L’astre sait envelopper la lande sous des nappes de brume subtilisant au simple regard la formule qui aurait élucidé le mystère. Vers le ciel, les éperons des menhirs se dirigent prestement et voir venir la barque nocturne est leur insigne privilège.

Qu’ont-ils donc ces corneilles à mugir une crainte qui bouscule les tempêtes ?

Qu’ont-ils donc ces nuages à s’amasser à tire d’aile sur les hauteurs de la rocaille, perpétuant une sarabande ancienne ?

Et les herbes salées, folles et rases se souviennent de pas affolés sur une terre de sphaignes secouée de danses endiablées.

As-tu connu ces angoisses qui voûtent ton dos d’un fardeau inconnu, invisible, porté par des mains veinées qui les ont déposées sans rien te demander ?

As-tu entendu des pleurs continus qui ne s’arrêtent plus d’avoir contenu des amas de complots rudoyés aux codes verrouillés ?

As-tu mordu aux blessures à l’encre de la laminaire qui lacère la peau malgré l’usure du temps ?

J’ai marché sur cette lande dévastée où des voix circulent dans les dédales d’un ciel dévoilé. L’air s’engouffre à fortes rafales. Sont-ce des rires moqueurs ou des anathèmes jetés qui repris par les vents, supplient le ciel de les noyer dans la mer ? Ils les ont bassement fait rouler sur la grève en amplifiant les reproches quand les pentes raides, épuisées de les entendre, en prennent ombrage.

Faut-il laisser ces voix murmurer un message sibyllin ? Je vois le ciel se pencher sur les moignons de grève en longues traînes de dentelles et me tendre les bouquets de varech qui s’effilochent.

Faut-il entendre la mer gronder et me morigéner ?

Qu’ai-je fait qui burine ainsi le long des rivages de son ressac inexorable, sempiternel et immuable ?

Et je recherche des frondaisons, des arbres aux ramages puissants où s’y cacher serait suffisant. Mais tout est contenu dans le rien de la lande sèche, les ajoncs timides, les genêts pubères, les fougères qui conquièrent les sols laissés aux bruyères, au romarin et à l’ail des herbes ternes.

Ceux qui savent se taisent.

Texte de l'année 2019

Ginette Flora


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11件のコメント


Fredoladouleur
Fredoladouleur
2023年10月16日

Ce texte est magnifique et "Je sais" une fois n'est pas coutume, que mon dictionnaire n'a pas été de trop. Te lire c'est également apprendre... et une bonne leçon cela n'a pas de prix ! Merci d'aimer si fort et si bien la langue française, Chère Ginette ! ^^

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Ginette Flora Amouma
Ginette Flora Amouma
2023年10月16日
返信先

Et merci à toi de nous offrir des moments "si forts et si bien" avec ta sublime musique, cher Fred.

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Colette Kahn
Colette Kahn
2023年10月13日

Ceux qui savent ne disent rien. Nous savons que nous ne savons rien et... il faut bien vivre avec : beau texte Ginette.

編集済み
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Ginette Flora Amouma
Ginette Flora Amouma
2023年10月14日
返信先

Merci , Alice .

L'automne serre un peu le coeur... et l'étendue solitaire de la lande aussi.

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berliner.randolph
berliner.randolph
2023年10月12日

Je n'ai pas encore lu ton texte, Ginette, mais le titre est si vrai...

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Ginette Flora Amouma
Ginette Flora Amouma
2023年10月14日
返信先

Merci , Randolph.

Je suis très touchée par tes mots.

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Fournier Viviane
Fournier Viviane
2023年10月12日

"Dans les fourrés denses se blottissent les conciliabules contraints d’avoir pris en filature les passeurs d’âmes poussant la charrette grinçante aux chaînes bruyantes. Tout se rapproche de l’entrée non protégée. Je m’en vais jusqu’au bord du hasard là où la mer semble se jeter dans le ciel. "

c'est grand, c'est beau, ça parle au présent ...vertige d'émotions sur tes lignes , Ginette ...❤️

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Fournier Viviane
Fournier Viviane
2023年10月14日
返信先

Je ne sais pas trop, Ginette, ils ont peur de ne pas être écoutés ...peut-être ? Le monde est si sourd, parfois ! Belle journée à toi !

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