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Cordes-sur-Ciel

Dernière mise à jour : 15 avr.


Je passais quelques jours à me demander où j'avais pu entendre ce nom qui s'insurgeait ainsi au fil de mes lectures. Ce nom tendu, roide, noueux, ce nom de corde résistante attendant d'être dénouée.

Je décidai de m'y accrocher pour retrouver la route sinueuse de ma quête.

Je pris la direction de Cordes en même temps qu'un groupe de visiteurs parmi lesquels des musiciens dont je suivis les conversations avec intérêt. Ils partaient répéter leur répertoire programmé pour un festival de musique, un évènement estival qui avait lieu tous les étés.

La route qui montait jusqu'au village perché dans les nuages était empruntée par divers autres familiers que des véhicules de tout carénage déposaient à l'entrée de Cordes-sur-Ciel, la cité médiévale qui dominait de son socle calcaire, à plus de trois cents mètres d'altitude, une vallée arbustive, tantôt verdoyante tantôt mordorée, fleurs et herbacées lui prêtant toutes les nuances d'une palette que les peintres avaient déjà repérée.


Je croisai des photographes se pliant sur coudes et genoux pour capturer la plus petite couche d'ocre et de nacre rassemblée sur le promontoire. Ils avaient cette patience pugnace de saisir la brusque apparition de l'image soudaine qui ferait basculer la lumière en une révélation sublime. Tout saisir des fulgurantes beautés pulsées par la tapisserie du ciel ! Tous les toits convergeaient vers une élévation austère dans un velours vibrant que les regards caressaient sans se lasser.

" C'était un de ces deux ou trois lieux qui attendent chacun de nous en ce monde . Tout est beau même le regret." ( extraits de " l'enchantement de Cordes " d'Albert Camus .

De graves visages de penseurs revenaient se mêler à ces visages que je frôlai sans les voir, car eux comme moi, oublieux de l'endroit d'où ils venaient, n'avaient qu'une hâte : pénétrer sous les portes cochères d'un lieu préservé.

Je lisais lentement mon prospectus, je cherchais dans les récits ce qui avait été déposé en moi et si j'appréhendais le moment où j'allais moi aussi comprendre comment certains mots viendraient m'illuminer, je n'avais de cesse de m'interroger sur les inconstances de ma conscience qui ne me libérait ses sources de vérité qu'au compte-gouttes.

Le pèlerinage était devenu nécessaire et n'en serait que plus salutaire tant je sentais l'émoi me malmener à mesure qu'on arrivait aux portes du ciel.

Trois brins torsadés, tortillés en rudes torsions tressées pour en faire un cordage auquel je m'agrippai, résolue à ne rien perdre de la vue du ciel qui basculait un peu plus à chaque virage de la départementale jusqu'à nous acheminer à l'entrée de la cité médiévale où notre véhicule s'arrêta dans une exclamation du chauffeur :

- Terminus ! On marche maintenant vers la porte Jane et vous serez enfin dans un autre monde !

Grandiloquent notre chauffeur qui avait aussi joué le guide pendant tout le trajet et nous avait narré l'histoire de Cordes sur Ciel !

La pierre brute, solide, fortifiée nous reçut avec l'exigence que demandent les pierres : de l'attention, du recueillement pour le travail massif accompli avec de simples matériaux, le bois originel et les blocs de calcaire qui abondent dans la région.

La construction avait supporté le temps, tout remontait au Moyen Age quand depuis toujours le grès ocre rougeâtre demeure dans la région voisine, quand le calcaire des carrières abonde non loin des terres, cette matière brute, les habitants surent la prendre et l'assembler en murailles et en bâtisses austères mais sans ensevelir le bois premier qui servit aux premières édifications. Perchée sur les hauteurs, elle s'était affranchie de tout amalgame. Ce n'était pas par liberté, un souci de liberté ou par goût de cette pensée qui les avait effleurés, non plus par esprit de rébellion ou pour se démarquer qu'ils se choisirent d'accepter de vivre sur une terre où le modèle de vie était devenait unique. Les habitants avaient suivi l'impulsion d'une volonté humaine. Si un seul homme souhaitait créer un lieu où hommes et femmes pouvaient vivre de leurs récoltes sans en référer à quelque maître, ils adhérèrent à la proposition et en firent leur affaire. Ainsi ils ne souffrirent point d'être vassal ou manant, d'être aux mains d'un suzerain ou d'un prélat. Ils étaient seuls et libres.


La vie n’avait de maître que le ciel et s'ils pouvaient atteindre cette liberté sans nom véritable, ils la saisirent avec ardeur.

Ils surent construire maisons et jardins, élever chapelles et enceintes, les deux premières portes consacrèrent l’entrée de leur domaine, celles qui voulaient relever les ravages subis par les  cavalcades des croisés. Tout réveiller, remuer les cendres d’une terre brûlée, aride  qu’ils ne voulurent pas voir dépérir. Ils mirent du cœur à l’ouvrage.  Tout replanter, creuser pour aller chercher les origines, tout espérer dans la concorde d’un travail qui porterait ses fruits.

 En bâtissant, ils avaient des projets, ils les étageaient, ils savaient qu’au plus près des nuages, ils n’avaient pas à s'échauffer les méninges pour savoir qui était le maître, qui était serf ou suzerain.  Comme la terre promise, ils se reconnurent dans la place qui leur était donnée pour vivre.

 Non plus la place du paysan travaillant pour le compte d’un châtelain mais la place de ceux qui  se sentent plein de leur propre existence.

 Chaque habitant avait sa parcelle de terre sur laquelle construire une maison  dotée d’un jardinet clos par un mur aveugle. Les fleurs s’épanouirent, les plantes et les arbustes  apparurent.

 Je serrai plus fort ma corde de chanvre et je passai la porte de pierre. La cité médiévale se montra telle qu’elle fut jadis construite avec ses ruelles pavées, parfois étroites parfois pentues, impasses cachées par les enseignes des ateliers et des boutiquiers. Ses escarpements, je les  longeai vaillamment en découvrant les lucarnes de ses jaillissements  de ciel au bout des allées encore tièdes de tous les pas qui les ont parcourues.

 Je filoutai la lumière, elle filait entre les niches, par dessus les arcades, je suivis la pierre dans ses encorbellements, ses dorures simples quand l’or d’un rayon de soleil se couchait sur les angles des dentelles gothiques. Ombres du temps passé, de quoi vous souvenez-vous et comment pouvez-vous nous en parler ?


 C’était ma deuxième entreprise  que d’écouter leurs voix, de dévider le fil qu’ils lançaient du haut des remparts. Et je m’accrochai à ce filin  pour rencontrer les ateliers des artistes.

 Je m’attardai devant une échoppe remplie de figurines taillées dans la pierre grise, nervurée.  Le vieil homme polissait la pierre.


–  Ils en ramenaient du voisinage, le grès rouge ocré qui donne cette couleur à la cité quand elle s’assoupit sous les faisceaux du couchant. Revenez au crépuscule et regardez depuis la croix en fer forgé plantée dans la pierre de grès rouge.

–    La cité semble sortir d’un panache de fumée, dit-on.

–  Oh oui,  on le dit, on l’a jamais si bien dit  et je crois qu’aucune formule ne pourra mieux décrire la vue de cette cité céleste surgissant comme par magie dans l’auréole féerique des volutes nacrées. Antoine Blossier se postait non loin des collines et attendait. Il criblait le paysage, il cherchait le meilleur point de vue  quand il tournait les scènes de son film   "Rémi sans famille ".  On vivait une période de transes, la cité revivait. Vous pensez, des centaines de figurants accaparent les rues, se retrouvant à refaire les gestes qu’ont fait leurs très lointains aïeux !  En costumes d’époque, ils vivaient leur rôle avec grande fierté !


–  Et vous faisiez partie de ces figurants ?  demandai-je en souriant tant le vieil homme s’échappait dans ses souvenirs.

–   J’étais celui qui tenait cette boutique pareillement. Voyez-vous, rien n’a changé depuis. Regardez ma jaquette de saltimbanque ! J’aime la porter quand les beaux jours reviennent.


 Le dernier brin de magie, de folle magie vint me surprendre.  Je ne résistai pas à la demande générale de guetter le point du jour.  A l’aube quand les bruits de la nuit, les musiques des festivals, les rires des jongleurs et les chants s’évanouirent, lorsqu’une tresse de brume commença à encercler la cité, je fus moi aussi surprise par  l’ouverture du ciel.  

 Je restai longtemps,  dans l’aube blême, dans la rosée translucide,  me laissant envahir par l’arrivée  de ce qui ne s’appelle plus la solitude. Une présence s’insinuait, la cité surgissait et dans les nuages avançait la flotille  des légendes.

" Le voyageur qui de la terrasse de Cordes regarde la nuit d'été sait ainsi qu'il n'a pas besoin d'aller plus loin et que s'il veut, la beauté ici jour après jour l'enlèvera à toute solitude. " Albert Camus


 Et je sus que ceux que je croisai dans mes promenades pouvaient tous être des poètes, des peintres ou des fous de terre et de  ciel, des explorateurs du soleil, des visiteurs de l’espace


" ...qui pouvaient peindre ou écrire sans craindre de se répéter car tous leurs tableaux seraient beaux, c'est une ville de rêve. " ( Lawrence d'Arabie )

 Je leur emboitai le pas, eux qui vivaient de la poésie des hauteurs au point de s’y installer et de se rassembler en cercles d’amis et de pisteurs de songes.  

 Les animations médiévales ne se lassaient pas de se créer, germaient, disparaissaient, revenaient devant les chapelles, des ménestrels chantaient leur répertoire, on martelait des tambourins, des luths gémissaient.

  Des chiromanciennes m’attrapèrent :


–   Vous, vous êtes déjà passée par une de nos  portes !

–… et que voulez-vous dire ? , fis-je intriguée en essayant vainement de m’enfuir.

–   La porte des ormeaux !  Cela ne vous dit rien ?   


 Je la regardai les yeux exorbités. Elle me tapota la joue :


–  Allez voir la porte des ormeaux, c’est après la porte de la Jane et avant la porte de l’horloge. Et tout vous reviendra !


 Et tout me revint mais ni dans le temps escompté ni dans l’espace présagé par la diseuse de bonne aventure. « Le jugement  des ormeaux », c’était le titre d’un de mes récits.

 Et pourtant cette découverte ne me satisfit point. Je restai sur ma faim. J’étais déjà venue en pérégrine dans ce village ancien aux passages exigus  mais il y avait de cela bien plus longtemps.  Et je me voyais jeune jouvencelle dans les ruelles riant et portant des fleurs que des passants m’avaient tendues. Je  me voyais accueillie avec une joie que je n’avais pas oubliée.

Il n’y avait plus que  l’angle de la rue à franchir et je me retrouvai dans la place aux arcades.

Je marchai à l’aveugle, je savais qu’on m’emportait.  Je me voyais accueillie dans une maison basse, j’étais entrée par une porte cochère, en pierre, et un couple  âgé, bienveillant spontanément me servit du thé. Il me couvait des yeux, elle parlait pour deux et une phrase s’est logée dans ma mémoire :


–   Tu as bien grandi ! Cela  te fait quel âge maintenant ?


Ginette Flora

 Avril 2024

  

Notes :

Toutes les peintures sont du peintre Yves Brayer dont un musée se trouve à Cordes sur Ciel

Ci-dessous un extrait du film " Rémi sans famille " (2018) d'Antoine Blossier, adapté du roman "Sans famille " d'Hector Malot.




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5件のコメント


Colette Kahn
Colette Kahn
4月19日

J'ai retrouvé, avec tes mots et ces tableaux, le coup de coeur que j'avais eu lors de mon passage à Cordes-sur-Ciel et la photo finale est de toute beauté.

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Magniifique Ginette, et les peintures qui bordent tes mots sont superbes ...


"La vie n’avait de maître que le ciel et s'ils pouvaient atteindre cette liberté sans nom véritable, ils la saisirent avec ardeur."❤️

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Peintre des régions du sud , l'artiste Brayer s'est installé à Cordes près de la porte des ormeaux !

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Figurant parmi les plus beaux villages de France, nous avons eu l'occasion de nous rendre dans la cité médiévale, il y a quelques années ! Ton texte lui fait assurément honneur et m'a donné belle matière à un retour dans mes souvenirs ! Merci pour ce partage, chère Ginette ! ^^

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Il y a tant à dire sur ce village ! Un modèle de structure semblerait-il unique en Europe voire au monde pour l'époque , concernant son statut administratif et social .

Quelle coïncidence et que je suis ravie, cher Fred, de savoir que tu étais aussi parti faire une balade par là-bas !

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