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" Devdas " ou le livre du silence

C’est un roman bengali, écrit par un écrivain du Bengale, Sarat Chandra Chattopadhyay    (1876-1938 ) qui est issu d’une famille très pauvre. Il est très tôt attiré par les études littéraires et remporte vite quelques distinctions après la publication de ses nouvelles.

Il travaille comme traducteur puis occupe un poste dans l’administration et s’octroie ensuite suite à des drames familiaux,  un moment de méditation en suivant sur les routes ascètes et renonçants, charmeurs de serpents et autres errants musiciens auprès de qui il apprend les secrets de la composition mélodique.  

« Devdas » est publié en 1917, le roman porte en son tabernacle tous les sédiments de la culture indienne.

 Son œuvre soulève et questionne les faits de société, très marqués en ce début du XXème siècle où les inégalités sociales, les séparations entre les individus restent ancrés dans la vie villageoise de ce côté de l’Inde. Il relève les combats, témoigne des révoltes silencieuses de ceux qui veulent pouvoir dire et ne peuvent le faire.

 Il parle des drames humains, de l’impossibilité  de réunir  ou de nouer deux âmes qui se confondent au delà des conventions et des  quotas économiques figés.

 Les conflits entre tradition et modernité l’interpellent. Quel est le fait marginal dans une société verrouillée par des codes et des clans ? Et où peut-il conduire ? Au suicide comme dans Roméo et Juliette ?

 Devdas apparaît alors comme le roman de la littérature romantique de l’Inde.


  Le résumé de l’histoire qui se présente en trois parties.

 1/ L’enfance de deux enfants dans un village où les travaux des champs, les courses dans les bois ont un attrait imputrescible font d’eux des êtres liés à tout jamais par d’étranges cordons de fleurs sauvages.  Parvati appelée Paro est issue d’une autre caste alors que Devdas est un fils de famille, destiné à conduire les affaires du patriarche.

 Les deux enfants ne vivent pas dans cette sphère. Ils gambadent dans une autre bulle qui les soulève pour les faire flotter dans l’air où se répandent les effluves du jasmin et de l’œillet d’or. Elle en a plein les cheveux, la fillette qui aime son ami de façon inconditionnelle. Etrange enfance où tous les coups sont permis par l’un et toutes les résiliences acceptées par l’autre qui garde farouchement son attachement pour l’être rebelle, violent et torturé qui l’accompagne sur sa  route. Ayant grandi dans le même village, ils ne sont pas conscients du lien qui les unit  jusqu’au jour où Devdas quitte le nid familial pour aller vivre à Calcutta et achever ses études.

 C’est au cours de ses retours épisodiques lors de courts séjours que les deux jeunes gens se rendent compte que leurs liens d’amitié se sont transformés en un lien plus subtil.

–   Je ne vais pas bien.

–   Je ne me  sens pas bien non plus. 

 La chose serait aisée à résoudre si les deux familles consentaient à  se réjouir de les voir ensemble. La  naïve Parvati croit pouvoir tout régler avec ses grelots et ses pleurs mais les intérêts des deux familles sont si opposés que les rapports entre eux tournent vite au vinaigre. Les parents de Parvati décident de la marier avec un parti plus intéressant.

 Les deux jeunes gens, confus sont déchirés. Le mariage de Parvati est annoncé, celle-ci brave les interdits pour rejoindre Devdas qui  lui fait la promesse de venir la voir le jour où il se saurait mourant.  


2/ On entre dans Calcutta, non plus le Calcutta des étudiants mais celui de la ville affairée où seul l’argent  tisse des liens monétaires et économiques. Devdas, au hasard de ses errances où il dilapide sa fortune,   rencontre une courtisane Moukhi  qui compatit à son sort et s’occupe de lui. Devdas n’est plus qu’une loque à mesure que les années passent et qu’il sombre dans la boisson, miné intérieurement par une morsure qui lui rappelle le temps perdu.   

Pendant ce temps, " une fois ses rêves oubliés, son enfance perdue, " Parvati mène une vie active, se met au service de sa famille, s’occupe de  ses terres et de la gestion de sa maison. Elle avance comme une somnambule, comme  constamment aux aguets, dans l’attente d’un événement. " Cette lueur qui nous lie, je ne l'ai pas laissée s'éteindre " rappelle les paroles d'un chant du film Devdas ; 2002


 3/ Un jour elle trouve Devdas mourant devant le pas de sa porte. Ainsi elle comprend qu’il ne dérogeait pas à sa promesse de venir mourir à ses pieds.

«  Je viendrai chez toi, même au moment de ma mort. » ( extrait du livre )

Le roman dépeint une société soumise à des conventions qui empêchent l’éclosion de bonheurs entrevus.  La lecture du livre ne laisse pas indifférent tant par la retenue de l’écriture qui  suggère un monde clos  dont on entend parfois tinter quelques bruits de cymbale que par un air  répétitif qui s’étire tout au long  du texte comme si des mots pincés sur les cordes d’une sitar nous envoyaient de mystérieux échos d’une complicité perdue.



L’écriture


Elle est sobre, on peut être surpris. Dès le début, rien ne donne le ton à la présence d’un bonheur qu’il est vain de décrire semble dire la prose de l’auteur qui s’abstient de raconter l’état d’heureuse félicité dans laquelle vivent les deux enfants entre jeux et disputes quasi violentes. On peut être déconcerté par l’agressivité avec laquelle les enfants  se  témoignent leur mutuelle connivence. On peut être étonné par le moment de grâce que s’accordent les deux enfants quand ils décident tous deux de retourner à leur petit monde au lieu de se rendre à l’école et comment pour nous lecteurs, ce moment peut faire penser à un  isolement dans  un Val sans retour  au milieu des étangs, des sous-bois et d’un arbre mort qui est leur signe de ralliement.

« Ils furent livrés à eux-mêmes. Ils traînaient sur les chemins, ils disparaissaient, ils jouaient dans les bois. »

C'est un livre grevé de symboles qui ont trait aux mythes et à la religion. C'est plus qu'une histoire. En racontant une enfance, l'auteur raconte la force tribale d'une pensée véhiculée par des êtres qui vivent dans un lieu aux portes desquelles vient mourir celui qui n'a pas su en porter les attributs.

 Et la surprise des sens s’élabore durant leur adolescence comme si l’auteur amenait le lecteur à ne voir que la fin inéluctable d’une tragédie déjà inscrite dans le destin des enfants.

 Tout est dit dans l’écriture d’un narrateur qui observe l’avancement d’un récit  à travers les décisions prises par les personnages.

Tout est dit dans l’écriture et par l’écriture. On ne le comprend vraiment que par l’éclat des films et de la comédie musicale que le livre a générés par la suite.

 Toutes les adaptations cinématographiques occultent la partie de l’enfance et du comportement de chacun dicté par son appartenance à un milieu social. Si on reste horrifié par les violences de Devdas, on ne retrouve pas dans le film l’esprit de l’enfance, les jeux, les cachotteries, les secrets, le lieu qui est le pays de leur rencontre  qui n’est rappelé que par bribes. Une scène est bouleversante quand on voit dans le film la jeune Parvati se rappeler la fillette qu'elle avait été et qui pleurait en cachette.

Avec la lampe qui reste allumée .


La lecture du livre permet de comprendre toute la mesure de l’imprégnation de l’enfance dans le cœur des deux jeunes gens. On pense à «  Romeo et Juliette » mais aussi aux   "Hauts de Hurlevent " comme si par delà les cultures, une vie intemporelle, source de l’idéal repensé par l’être humain devenait le lieu unique de l’absolu.

 Ce temps est décrit sans concession, Devdas issu d’une classe différente apparaît comme un personnage qui se conduit sans se rendre compte des conséquences de ses actes. La résistance de Parvati s’enracine dans un socle plus solide comme si la fillette  ne savait pas comment se détacher de Devdas mais lui affirmait toutefois sa propre liberté. Le livre est  une analyse réaliste, d'une société conditionnée par des mythes et des rituels alors que le film avec ses couleurs, son éclat, ses déclamations lyriques apporte le rêve et l’émotion qui ne se diffusent pas dans le texte  comme si ces mêmes mouvements du cœur restaient figés  dans le silence.        



Le film "Devdas", 2002



Les films décidèrent autrement du livre.

Et si le film «  Devdas  » sort de l’ombre des pages du livre et donne aux couleurs la force symbolique qui conduit les images où le rouge, symbole de la joie, de la fertilité, du signe marital explose entre poudres et fleurs, la fin du film entre dans un gris bleu, celui de la mort. A ce moment du film, la lampe s'éteint.  

C’est grâce aux visages que les acteurs de Bollywood lui prêtent que le film porté par une très forte sensualité fait connaître l'histoire intemporelle de deux êtres qui ne demandaient rien d'autre que de vivre comme aux premiers jours. Les films à grand spectacle, danses, chants, décors colorés et costumes rivalisèrent d’inventivité pour donner à cette sombre histoire un vernis autrement plus pathétique, révélant l'existence d'un temps qui échappe aux conventions.

Avec le film  Devdas de 2002 où les  deux acteurs Ashwarya Rai et Shah Rukh Khan tinrent le haut de l’affiche, le livre eut son moment d’apothéose. Le film fit la part belle aux chants et aux danses et il est porté par le charisme emblématique des  deux grandes figures du Bollywood moderne.   

Le livre détaille les nœuds emberlificotés des lois sociétales tandis que les adaptations cinématographiques en diverses langues s’efforcent d'occulter les éléments ambivalents et contradictoires  d’une enfance qui a marqué les deux protagonistes.

 En rencontrant la courtisane Moukhi, Devdas  n’arrive pas à rompre les liens de l’enfance et à entrer pleinement dans le monde des adultes où faire des concessions et refouler ses instincts primitifs deviennent les conditions pour assumer la durée d'une vie terrestre.

 Le livre explique sans fard les raisons qui gangrènent chaque personnage, les motivations de leurs actes, le référent social qui les écrase et le destin qui les fige avant même qu’ils aient pu comprendre ce qu’est la liberté.  

 La sérénité et la douceur  deviennent un idéal comme si elles n’étaient pas permises. On  reste choqué par la violence et l’agressivité qu’ont l’un pour l’autre les deux êtres  séparés  comme s’ils ne comprenaient que le langage d'une enfance insouciante, sans foi ni loi.

  Leur extrême jeunesse fait penser aux amants de Vérone, à ce moment de la vie du cœur où l’esprit ne tolère aucune concession aux trivialités  et aux compromissions.    

 « Celui qui aime sincèrement endure sa peine en silence. » 

 Le narrateur condamne les personnages au silence, à l’impossibilité d’évacuer  quelque chose qui les étouffe.


La comédie musicale 2024 avec prolongation en 2025


La comédie musicale


Adaptée du film Devdas sorti en 2002, la comédie musicale Devdas s'est d'abord fait connaître en 2023 dans les pays d'Extrême-Orient avant de se propulser sur la scène occidentale en 2024.

Suite aux succès obtenus, une prolongation est programmée pour le printemps 2025 avec le même souci de la prééminence des couleurs et d'une gestuelle symbolique.

D'une durée d'une heure et quarante minutes, la comédie est conduite par trente artistes qui se surpassent en donnant le meilleur d'eux-mêmes aussi bien dans les chants que dans les danses. Les cinq cents costumes et les décors accrochent sans cesse le regard. C'est un moment qui, une fois achevé, nous laisse groggy mais "cette lumière là, il serait difficile de la laisser s'éteindre ! "


Ginette Flora

Septembre 2024

10 vues2 commentaires

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2 Comments


Tu m'as donné envie et les références et le résumé et l'ambiance, tout parle en grand ...❤️


"On pense à «  Romeo et Juliette » mais aussi aux   "Hauts de Hurlevent " comme si par delà les cultures, une vie intemporelle, source de l’idéal repensé par l’être humain devenait le lieu unique de l’absolu"

Merci Ginette, les " Hauts du Hurlevent" est un livre qui m'a tellement marquée alors oui, ça me donne envie de découvrir ce que je ne connais pas ...

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Toutes les cultures parlent du pays perdu et des pleurs de la femme, de la même façon.

Ici le film en a fait un culte !!

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