Hervé Treuil, le peintre paysan

Le temps qui fuit, le temps qui reste, est-ce ce fragment volatil qui désespère, que le peintre Hervé Treuil pose sur ses toiles ?

Peindre la grille qui est fixée à deux piliers en pierre. La grille dissimule un domaine inexploré. Des feuillages forment des coupoles, arches d'un ciel préservé mais qui donc vit sur cette planète stellaire ?

Le regard surpris du peintre s'y attarde. Tout est suggéré, la lumière voilée semble annoncer une présence.

Un chemin y mène, on l'aperçoit qui s'enfonce dans le flou titubant de quelques notes qui perforent le coeur.

Je me souviens, enfant quand j'approchais des portes en fer forgé des grandes demeures et que je me demandais ce qui pouvait bien s'y trouver et qui pouvait y habiter ainsi dans le silence et le recul d'une force solitaire.

Au-dessus des barreaux ouvragés selon un art ancien rehaussé de frises, des glycines se déploient, se déversent par grappes et flocons mauves et tièdes de chaleur.

C'est qu'il faut couvrir l'audace et la curiosité de celui qui a entrouvert la grille. Combien de fois est-il passé en longeant les barreaux de la palissade, les touchant un à un comme s'il jouait à attraper un temps qui se dérobe comme une fugue de Chopin ?

Et l'ombre de celui qui vient de se glisser laisse remonter des images affolantes de la crainte éprouvée d'entrer dans un lieu inexploré. Quel sentiment sur quel visage allait-on rencontrer ?

Au bout du domaine, des marches dévisagent l'enfant subjugué que j'étais devant les paliers frustes à franchir.

Une douceur bourrue se cachait dans les chutes d'ombres que des rosiers couvraient de leur grâce tremblante.

Roses carmin et pivoines, d'autres arbustes, d'autres simples brassées florales sanctifient la maison en pierre, présences diaphanes, créatures offertes comme des vestales dans un temple. Et je me rappelle ces quelques vers de Baudelaire :

" La nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles"

" Un temple ", c'est le terme qui définit la

peinture du peintre.

Il peint la joie qu'il éprouve

à voir la pierre lui rendre ses images d'enfance. En regardant ses toiles, on se surprend à voir défiler la journée d'un enfant courant dans les bois en caressant la tête bleue des iris, qui pousse les portails des jardins, déverrouille les grillages et prend la clé des champs en sautant d'un pas alerte et vagabond sur les cloisons des terres lointaines.

Car cette ombre que l'on voit, c'est nous-mêmes, l'ombre de l'enfant que nous étions, qui aimait explorer, qui repoussait l'obstacle, qui était fasciné par ce que l'interdiction pouvait supposer de découvertes enchanteresses.

Hervé Treuil ne peint aucun personnage, le paysage est son personnage. Le seul humain présent, c'est nous ! Nous découvrons notre propre présence dans les ombres, dans les subterfuges du pinceau de Treuil.

Cet émerveillement arrive dans les brumes qui s'étirent, tombent dans le brouillard d'un visage appuyé sur les troncs d'arbres ou se mirant dans l'eau compatissante d'un cours d'eau fugitif.

Hervé Treuil

Né en 1958 à Brive La gaillarde en Corrèze, il est agriculteur et éleveur de bovins de son état mais aussi peintre autodidacte car il aime la nature et peint depuis l'âge de 14 ans. Il vit au rythme des saisons et ne pouvant exprimer son amour par les paroles, il se dit plus à l'aise dans la peinture et l'expression de son ressenti passe par les couleurs des quatre saisons. Il est le Vivaldi de la peinture quand il exulte de joie devant l'offrande du monde.

Il se distingue par une maîtrise technique étonnante et par une très fine sensibilité.

Les tout petits villages de France sortent ainsi de leur pénombre et grâce aux peintres régionaux, les étrangers de passage ne se précipiteront plus sur leur carte pour se demander où se trouvent les différentes régions de la France.

Il aurait pu être poète ou musicien mais la peinture est venue à lui et lui ne l'a plus quittée. Il est inspiré par toutes les fibres de sa sensibilité visuelle et sensorielle.

Il est l'archétype de l'agriculteur à Juillac en Corrèze qu'il nous fait découvrir de son regard imprégné par son inspiration impressionniste. Il peint la nature en faisant de grands panoramas ou en se concentrant sur un détail de ce qu'il a pu capturer en marchant dans les fourrés. C'est sa façon de remercier la nature de toute la joie qu'elle lui procure.

Pudique sur les sensations qu'il peut éprouver, il laisse son pinceau transmettre sa foi et son amour de la nature.

Cette intime communion avec la mémoire vivante, jamais perdue, de ce que peut être un arbre au détour du chemin, Hervé Treuil le raconte sur sa toile et pendant qu'il peint son récit, il laisse sa pensée s'écouler librement comme le cours d'eau où sont engrangés les regards des enfants.

C'est dans le genre impressionniste qu'il puise son inspiration pour donner vie à ses émotions. Ce sont ses vibrations que nous partageons.

" Créer c'est offrir aux autres ", dit-il et " On existe tout soudain de savoir que le tableau va vivre chez quelqu'un qui nous est étranger et qu'on est compris par cet étranger. On continue d'exister chez l'autre. "

Exister c'est le maître mot.

Les neuf peintures présentées dans le texte sont d'Hervé Treuil, trouvées sur de nombreux sites Internet dont cambridge-art.com

- les grilles et ombres avec glycines

- le jardin et les iris mauves, la maison avec marches,

- les ruisseaux en Corrèze, les arbres, le village de Saint Cyr Lapopie

- la prairie et sa ferme, le grand chemin.

Ginette Flora

Mai 2024