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Jean Follain, le poète de l'épicerie d'enfance

Dernière mise à jour : 10 août


Canisy est une petite commune de quelques 1500 habitants. Au temps de Jean Follain, le village n'était qu'un enclos de quelques 500 bonnes gens et pour Jean Follain, c'était le monde de son enfance, celui qu'il a connu avant que les guerres arment le sol, transforment les esprits et ôtent au temps figé le silence qui l'a toujours interpellé.

Situé dans le département de la Manche, en région normande, Canisy existe bien et Jean Follain entend bien ouvrir une route dans les bocages pour parler en mots simples de sa terre, de ses souvenirs d'enfance. Il pose longuement, lentement son regard sur les paysages, redemandant aux êtres et aux choses de refaire

" L'épicerie d'enfance."


C'est vers ce poète né en 1903 que nous portons nos pas avec lenteur, dans le silence dont il dit que c'est le bruit de l'attente, cet autre habitant qu'on nomme l'éternel.

Il fige ce temps où les jours creusent les visages, où le cours d'eau loin de s'affliger, délivre son "chant terrestre" .

" Tout durait et semblait peuplé d'attente et cette impression de toujours voir les choses durer et attendre ne m'a jamais quitté. "

Le département de la Manche, c'est une terre comme une figure de proue sur la mer. La région de la Normandie, c'est une terre de bocages, de prairies et de villages entourés de haies, de talus, de tertres où les eaux de la Joigne, de la Douve, de la Vire, de la Terrette baignent les champs protégés par les arbres et les fossés.

Le terme de bocage sied à l'écriture de Jean Follain, il emprunte à sa terre la finitude de l'enclos, la densité de la haie pour donner à sa contemplation la pensée qu'il ne veut pas laisser échapper.

Dans son bocage, tout y reste, passé, présent et cette place vide qui ne se remplit qu'au fil de l'inconnaissable et qui engendre un zeste d'angoisse.


Sur les pas de Jean Follain, à Canisy


Après avoir terminé ses humanités dans sa région, il embrasse une carrière dans la magistrature après des études de droit. C'est au cours de son stage d'avocat à Paris qu'il se met à fréquenter les milieux littéraires en participant aux réunions du groupe "Sagesse".

Il rencontre Pierre Reverdy, Max Jacob et ceux dont l'influence et le voisinage vont marquer l'évolution de son écriture poétique.

En 1933, il publie son premier recueil " Cinq poèmes "

En 1939, il reçoit le prix Mallarmé qui le fait connaître dans les milieux poétiques.

En 1941, le prix Blumenthal décerné par la fondation franco-américaine aux artistes de tous horizons lui assure un statut d'écrivain international. On lui confie des missions et à partir des années1957, il voyage beaucoup.

Il séjourne en Asie, en Amérique du Sud, aux USA et en Afrique.

En 1961, il quitte la magistrature pour se retirer à Canisy où il écrit :

"Combien il était difficile de serrer de près les choses ! La matière passait de la joie diffuse à une sorte de tristesse sourde... Tout durait et restait peuplé d'attente."

En 1970, il reçoit le prix de poésie de l'Académie Française.

En Mars 1971, il meurt à 67 ans dans un accident de voiture.


Son œuvre


En 1932, il publie les " Cinq poèmes "

En 1933, " La main chaude "

En 1938, " L'épicerie d'enfance "

Puis Gallimard devient son éditeur pour les recueils suivants jusqu'au dernier et dont les titres définissent son univers :

En 1942 " Canisy"

De 1943 à 1971 , "Usage du temps" / "Exister"/ "Chef-lieu"/ "Territoires" / "Tout instant "/ "Des heures" / "Appareil de la terre" / "D'après tout"/ "Espace d'instants"/

"Collège" ( inachevé, publié deux ans après sa mort)

Son écriture poétique


En entendant grincer au fond de la mémoire

Les portes des salles froides

Lorsque bruissaient les peupliers des rives

On sent s’émerveiller son sang.

( Extrait "D'après")



Les espèces sans lassitude se reproduisent :

oiseaux de mer, serpents, insectes miroitants ;

le bois parfois résonne de coups de fusil sourds :

chasseurs aristocrates d’un monde finissant,

j’ai vu leurs habits rouges saigner au fond du temps pluvieux et mordoré ;

la trahison germait au cœur des dulcinées,

le boulanger riait dans la bourgade sombre

mangeant son pain beurré abandonnant naïf aux pages de l’histoire

la jeune reine pleurante devant de hauts miroirs.

("Extrait d’Usage du temps")


Les poèmes sont concentrés et courts. On y chercherait vainement des figures de style, voire des effets de style .

Cette langue peut donc faire reculer mais si le verbe est concis et austère, c'est qu'il cible le but recherché : renvoyer l'image de la campagne, de l'enfant-roi qui l'a apprivoisé, lui a fait connaître ses premières découvertes.

C'est l'énonciation des objets, caillou, pain, assiette, cuillère..



Un toit de maison puis l’étoile au-dessus pâlissante

arrêtaient les regards d’un homme

qui se sentait repris par le fin jeu des causes

plus bas les enseignes dévoilaient leurs mots d’or

le bois, le fer, la pierre

imposaient leur présence

une fenêtre grande ouverte montrait le mur d’ocre

et l’armoire et la main qui posait une cuillère de fer

sur la faïence d’une assiette

à l’ancien ébrèchement.



Si les premiers recueils sont tournés vers l'évocation de souvenirs, les derniers sont plus sombres. Ils expriment une angoisse, soulèvent des questionnements du temps considéré comme une attente.

C'est le poète de l'inexprimable quand il sait le voir sur le visage des personnes, sur le silence de leurs voix, sur la lenteur de leurs gestes comme s'il faillait vivre et que vivre c'est juste l'instant vécu qu'il révèle en peu de mots et qu'il peint en peu de couleurs.

" J'ai tenté en parlant de choses simples de joindre par le poème, l'éternel . "

Les jugements portés sur son œuvre s'accordent à dire que Jean Follain par son écriture concise témoignant de la présence des choses essentielles, porteurs d'une réalité concrète, nous mène vers une réflexion sur le temps.

C'est pourquoi on ne verra pas d'épanchement lyrique car Jean Follain n'intervient pas dans son récit, ne parle pas pour lui-même. Ce sont les mots seuls qui nous permettent de découvrir le sens caché de ses mots percutants, lapidaires, prononcés pour être retenus et évalués comme on contemple la robe d'un vin et qu'on y devine les essences premières.

On n'y entendra pas non plus de musique car le poète ne tire pas de mélodie de l'usage des mots dont il dispose, laissant un mystère s'émulsionner à la surface.

Le poète ne parle pas de lui mais de ceux qui ont fait de lui ce qu'il est.

Cette démarche est insolite, neuve et qui fait qu'on aime lire et relire Jean Follain pour essayer de comprendre .



Des auteurs contemporains disent combien l'écriture de Jean Follain les a marqués et que les mots du poète les accompagnent. Ainsi Jacques Moulin écrit pour la revue "La Barbacane" un poème :


" A Follain,

On repoussait les foins

Les genêts bocagers au seuil de leurs enclos

retenaient des chaleurs

Le chariot

sûr des attentes sentait poindre

d’obscures venaisons

L’herbe poussait le cri

que les convois éloignent"

S'il a restitué tout le paysage secret de son enfance en passant par la terre paysanne et les vergers et les jardins où la pomme et les fleurs livrent leurs nourritures, le poète a su nous le dire discrètement à mots couverts, tantôt inquiets tantôt primitifs mais toujours avec une lucidité cinglante d'où l'absence absolue de pathos.

Si les souvenirs sont beaux, il y en a d'autres moins acceptables et plus lourds à porter et l'homme connaît les drames de la vie, ceux qu'on cache, ceux qu'on enterre.

Pour le poète, ce qui compte ce sont les pas qui doivent mener quelque part.


" Les pas entendus

Le corps, les visages, les mains,

se fondent au village

à grands arbres sculptés.

Il n'y a plus de temps à perdre

répète une voix.

Ce sont pourtant les mêmes pas

que dans la glaise des matins

où brillaient le cuivre et l'étain

L'avenir se cache dans les plis

des rideaux figés

Le pain fait la chair "


( Exister Ed Gallimard, 1969)



Ginette Flora

Août 2024

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