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Jean Malrieu, le poète de l'absolu

1915-1976.  C’est un poète français né à Montauban.

 «  Malheur à qui ne mêle point de terre à son amour » proclame-t-il.

Toute son œuvre est un cantique tantôt exultant tantôt mélancolique, chaque fois plus prenant dans sa marche vers une destination proche car il ne désire pas quitter  le sable familier et primitif qui le renvoie à ses origines, cette trace inquiétante qui  le tourmente.

 On rencontre ainsi la ferveur de son incantation, l’ardeur à vouloir l’exprimer, un recueillement avant qu' il ne réitère son envie de vivre  car il est «  l’héritier de l’humain et le «  bruit court qu’on peut être heureux »    ( La vallée des rois )

 Il est attentif à la visitation, au sens biblique du mot. On est souvent visité par des présences, à nous  de savoir les entendre, les recevoir, les apprécier.


«  On a frappé,

Le vent en personne apporte le sel.

Vous trouverez bien une place

Dans l’armoire

Entre le sachet de lavande

Et l’espoir pour ne pas crier. »

(Les maisons de feuillages)


Après avoir suivi la mouvance surréaliste dans leur volonté d’ensemencer le champ sémantique de la poésie par de nouvelles graines, il se démarque de ceux qui ratifient un manifeste  et il s’identifie dans une poésie personnelle, habitée par ses émotions et sa vision de la vie.


« Puisque nous sommes mortels,

Puisqu'en nous, déjà, cheminent

Les ombres et que le temps montant

Comme un gravier s'éboule,

Puisque s'élancent à la course

D'autres soleils, en nous, pour publier l'instant accompli,

Avec les mots et les choses qui les portent

Dans la plus grande attention, la nudité

De l'âme quand elle s'éveille avant le jour,

Nous choisissons le témoignage.

Car nous sommes responsables,

Non de ce que nous avons fait,

mais des promesses non tenues.

Ce n'est point de ne point avoir fait le mal.

Les mains quittes ne sont jamais pures.

Il faut les avoir noires de terre,

Saisies en leur travail, armées.

Il fallait toujours parfaire.

L'ordre du monde le demande.

C'est par les rêves tenus

Que se fait notre alliance.

Je n’ai pas assez aimé »


Ses thèmes sont ceux qui occupent la poésie mais transfigurés sous sa plume, ils résonnent d’une si forte chaleur humaine qu’on ne se lasse pas de le lire.

 Devenus introuvables, ses poèmes ont été rassemblés par le poète Pierre Dhainaut dans le livre «  Libre comme une maison en flammes » 


Purs comme la pluie, jeunes comme le vent, fauves comme le seigle, éléments d’une journée toujours nouvelle,

Nous retournerons au chaos, à l’ivresse perpétuelle.

L’amour est alarme et révolution.

Les profondeurs se sont ouvertes. Il y a des floraisons d’abîme à la fenêtre. Les champs de la mer sont mûrs

 ( Extrait de «  Libre comme une maison en flammes » )

 

 En voici un autre extrait :

 

Où que tu ailles, l'humus, le sable,

prends modèle sur les ondes, allège-toi.

Ne sois que souffles et vois : une glycine a débordé le mur.

Ne coupe aucune fleur, tu t'élargis dans l'air des cimes.

Oublie tous les noms sauf ceux du jardin, à la fois ceux des plages.

Pleines mains sur ce tronc, écoute, équitable, le silence, la sève.

Rien n'est invisible, dis à présent le parfum des lilas.

Pluie fine, la chair en liesse, la clairvoyante, réveille un chant de grive.

Les ailes, le cœur, laisse-les battre, laisse-les battre ensemble  ( Jean Malrieu)

 

Le goût des livres et du merveilleux, il le contracte dans son enfance où il écrit des histoires et des poèmes.

 

 Les sentiers parcourus entre deux guerres

 

L’avant-guerre, l’entre deux guerres, l’après guerre, l’homme se cherche en occupant  plusieurs métiers. Il doit à chaque fois se reconvertir, se chercher, trouver un emploi, se fixer. Il devient instituteur et doit suivre les lieux de ses affectations.  Il découvre le cercle des poètes. Il se lie d’amitié avec les poètes occitans.

 En 1948, il est nommé instituteur  à Marseille et diverses relations lui permettent d’être publié dans Les Lettres Françaises. Aragon, Tortel, Neveu, Breton sont des figures incontournables auprès desquelles il se trouve une place.  

Il crée l’association des poètes de Marseille.

 En 1953, il publie «  Préface à l’amour  » et l’on découvre un poète qui puise dans le thème de l’amour  le sens caché d’une vie,  il le chante avec une telle puissance d’évocation et de chaleur qu’on reste attaché à ses paroles  et qu’on en redemande.

En 1960, il se fixe à Penne-sur-Tarn en région occitane. Il reçoit plusieurs distinctions, il fonde la revue « Sud » en 1970.

En 1975, il prend sa retraite de l’enseignement

En 1976 , il meurt d’une malencontreuse piqûre d’insecte.

 

 Il fut instituteur et militant politique pour se libérer ensuite de tout ce qui l’entrave. Il s’en  dégage, prend ses distances et ne célèbre plus qu’une certaine lumière humaine.


  Ce qui reste de lui


Si discret, si peu cité, il risquait de tomber dans l’oubli n’eût été l’œuvre de ses amis pour rassembler ses poésies et publier le recueil phare :

"  Libre comme une maison en flammes " 

 

 C’est un homme du Sud, aimant l’amitié et l’amour  qu’il ponctue d’un lyrisme qui traverse nos cœurs, une puissance dans la discrétion et peut-être est-ce cette discrétion qu’on lit avec une surprise avide ses vers libérés de toute contrainte métrique.  

 Chantre du bonheur, de la joie mêlée d’une pudeur sensuelle qui ne laisse pas indifférent .

 

 1953, Elsa Triolet et Aragon l'introduisent dans les maisons d'édition.

 En 1963, il écrit Vesper


Vesper   /


 Sur cette terre où tout se tient…Nous n'en finissons pas de labourer la mer.

Nous n'en finissons pas de jeter le grain comme on sème et de ne récolter jamais.

Graine d'homme, va…Depuis que nous sommes sur terre,

nous n'avons pas réussi à prendre racine,

à nous contenter de voir tourner notre ombre sur le sol

comme un bon arbre de n'importe où.

Nous ne sommes même pas des pierres.

 

Vesper /


Nous avons besoin de vous…

Nous avons besoin de vous, longues pluies aux jambes effilées,

pour parcourir des plaines, souffles du soleil,

campagnes de midi, maisons aux toits rouges comme poissons dans les arbres.

Nous avons besoin de vous, chemins inconnus des terres inconnues,

chemins de la mer, chemins à travers les avoines,

trajets des sources et des graines.

Nous avons besoin de vous, innombrable armée des années à venir

afin d'être plus sûrs de notre appartenance à la force, à la grâce de la vie.

Le temps se lève, le temps se couche.

L'horizon est en rumeur. Notre sang l'anime.

 

 En 1968 , il publie "La vallée des rois , le nom secret"



La vallée des rois

Mon pays préféré est cette gorge de montagne –

 Que dévalent les arbres grêles, maladifs, -

Où la bruyère croît, où l’ombre, -

Quand le soleil s’en va derrière les sommets, -

Tombe avec le bruit de l’ombre. –

 À mourir, autant que ce soit là

 (extrait de  La Vallée des Rois).


Je me suis habitué à cette terreur lente,

À la défaite acceptée, au profil de la mort.

Dans ma voix se dessinent des îles,

Mais les amis ne savent pas que je converse avec les morts.

Heureux d'une journée, d'une rencontre au bord des routes

Avec le cantonnier, ou, appuyé sur un bâton,

Avec quelqu'un qui est déjà plus qu'un berger…

La chair à une odeur de soufre.

Mon poids s'est augmenté de ma fatigue et de sagesse.

Il y a des portes dans les airs naufragés

Et nous marchons, serrant au poignet

Cette paresse, cette présence, une habitude,

Cette vie qui cache la nôtre et que nous n'avons pas connue. ( Extrait de la vallée des rois )

 

Un signe dans l'été

Imagine que tu devais mourir.

Imagine qu'un jour de plus t'est donné, peut-être deux, peut-être mille.

Ne compte pas. Etonne-toi. Tu n'as pas oublié de marcher,

tu marches pour la première fois. La joie a fait place nette

et tu te réjouis de nommer les choses qui reviennent vers toi.

Un mot, un seul, et les autres s'enchaînent.

Le fil est renoué qui te relie à l'univers,

soutenant dans ton ciel les soleils suspendus au-dessus du bal.

Va au bal. L'orchestre apprête ses violons. Ta jambe est bien faite.

Elle te conduira où tu voudras. Rire, c'est remercier le jour de sursis.

Tu viens de naître. Mais pourquoi, parmi tant de compagnes, as-tu déjà retrouvé ta vieille douleur ?

 

 Il parle de son pays, le Sud, autour d’un cercle familier d’amis avec lesquels  il entretient une solide capacité à croire aux liens de solidarité et  de cohésion sociale, premiers leviers qui mènent  au voyage humain.  

 On parle d’un homme au caractère imprévisible, capable de colères et qui ne se définit que  par sa maison dans la campagne à Penne sur Tarn, son travail à Marseille et l’évocation de ses origines à Montauban.

 

J’ai voulu le lire une nouvelle fois  pour aller au-delà de la sourde révolte qui peut venir quand on est confronté au néant.

 

De la terrasse, sur la partition même de l'été,

Nous avons déchiffré le paysage.

Il est des statues d'air dans les champs

.Quand on les heurte, elle résonnent,

Réveillent l'âme aux harmoniques.

De la graminée sans couleur

À l'ombre jetée comme un manteau sur le chemin,

Tout est divin. L'air s'attarde autour de la maturité légère des jours.

Le lyrisme, avec ses pleureuses de flammes,

Rend supportable la fuite du temps.

Il ne se passe strictement rien en ce jardin

Sinon que je vais y vieillir

En choisissant mes pensées tournées vers l'amour.

Un ver glisse dans le fruit. Le jour a pris la couleur de l'ambre.

Les saintes images de la terre vont nous quitter

Le silence amical de la lune est terrible.

J'entends déjà des mers l'inaudible clameur

Et ce n'est plus la peine d'appeler au secours.

Je marche sur les empires du sable.

 

« J’ose aimer et je délire » 

dit-il alors que la mort vient le prendre par surprise

Mais lui aura cru sa vie durant, en cette chose surnaturelle, l’amour, flamme, ardeur, ferveur  qui grésille dans l’entrebâillement du mensonge et de l’utile.


Ginette Flora

Août 2024

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6 Comments


A nouveau un grand merci pour cette découverte, Ginette. Tes malles sont riches pour notre plaisir !

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Merci beaucoup, Alice et bonne journée par ce temps si ensoleillé aujourd'hui !

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Magnifique découverte, Ginette...je vais, grâce à toi, aller voir ce Monsieur d'encore un peu plus près, j'ai tout adoré de ce voyage !❤️

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Au fil des lectures , on rencontre tant de personnes discrètes porteuses de pierres rares !

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Merci encore Ginette pour cette superbe découverte d'un poète bouleversé et bouleversant.

Ses mots vont droit au coeur et c'est beau !

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Il m'arrive aussi d'être étonnée de découvrir tant d'êtres brûlants de féerie dans leur coeur et dont on n'a jamais rien su jusqu'à leur nom .

Une lecture, une page parfois placée ailleurs et que j'ai entrevue en passant devant me trouble et j'aime partir ainsi à la découverte d'un visage, d'une parole, d'un espace de verdure caché qui se révèle.

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