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L'abbaye du Val de Gif

Dernière mise à jour : 19 mars



Deux statuettes de 1,10 m nommées "Abondance" et "Disette" ornent les niches d'un portail de la ferme enclavée dans le domaine de l'abbaye du Val de Gif.


Marie Catherine Racine, fille de Jean Racine, rentra comme religieuse dans l'abbaye du Val de Gif, située dans l'actuelle commune de Gif sur Yvette et y mena l'austère vie d'une bénédictine avant d'en ressortir pour vivre une vie maritale en se mariant en 1699 avec Claude Pierre Collin de Morambert, avocat mort à 47 ans à Paris.

Née en Mai 1680, décédée en 1751 à l'âge de 71ans, Marie Catherine était la fille auprès de qui Jean Racine pouvait laisser vivre ses bouffées de sensibilité.

Elle lui ressemblait, il la chérissait comme en témoignent les lettres qu'il écrivait à son fils aîné pour lui faire part de son grand désarroi.


Le 16 mars 1698, Jean Racine fait part à son fils Jean-Baptiste de la tristesse avec laquelle sa sœur devait se résoudre à quitter Port-Royal des Champs car le monastère avait désormais l’interdiction de recevoir des novices :

« Pendant que vous êtes dans un lieu où vous vous plaisez [l’ambassade de France à La Haye], votre pauvre sœur aînée est dans les larmes et dans la plus grande affliction où elle ait été de sa vie. C’est tout de bon qu’il faut qu’elle se sépare de sa chère tante [Agnès de Sainte-Thècle Racine] et des saintes filles avec qui elle s’estimait si heureuse de servir Dieu.
Elle m’a écrit là-dessus des lettres qui m’ont troublé et déchiré au dernier point et je m’assure que vous en seriez attendri vous-même. La pauvre enfant a eu jusqu’ici bien des peines et a été bien traversée dans le dessin qu’elle a de se donner à Dieu. Je ne sais quand il permettra qu’elle mène une vie un peu plus calme et plus heureuse. Elle était charmée d’être à Port-Royal et toute la maison était contente d’elle. Il faut se soumettre aux volontés de Dieu. Je pars demain pour aller à Port-Royal et pour régler toutes choses avec ma tante pour qu’elle écrive à Gif et que je prenne mes mesures pour y mener votre sœur aussitôt après Pâques. »
D. Zurbaran, ‘Sainte Barbara’, XVIIe siècle.

Une notice biographique de Paul Mesnard témoigne également de la volonté de la jeune fille de rejoindre une communauté de religieuses, ce qu'elle fit en intégrant l'abbaye du Val de Gif mais au bout de quelque temps, Marie Catherine renonce à la vie moniale et retourne chez ses parents.

Jean Racine y voit une heureuse occasion de lui faire contracter une alliance avec Claude Pierre Collin de Morambert.


Le second enfant de Racine fut Marie-Catherine, née le 16 mai 1680. Elle paraît avoir eu une âme ardente, un peu mobile, et par cette vivacité d’impressions, qui lui causa quelques tourments, une certaine ressemblance avec son père, dont elle était la fille de prédilection. À seize ans elle entra aux Carmélites du faubourg Saint-Jacques, le 29 décembre 1696. Se séparer d’elle fut une cruelle épreuve pour la sensibilité de Racine. Quelques jours après l’entrée de sa fille dans l’austère maison, il écrivait à sa sœur : « Il m’en a coûté beaucoup de larmes ; mais elle a voulu absolument suivre la résolution qu’elle avait prise. C’était de tous nos enfants celle que j’ai toujours le plus aimée, et dont je recevais le plus de consolation. Il n’y avait rien de pareil à l’amitié qu’elle me témoignait. » Au bout de peu de mois, la santé de Marie-Catherine l’avait obligée de rentrer pour quelque temps à la maison paternelle. Elle ne tarda pas à fuir de nouveau le monde, et à chercher une retraite à Port-Royal. On y était très édifié de sa piété, et elle avait conçu un grand attachement pour ce monastère. Mais alors on ne voulait plus permettre à personne d’y prendre l’habit. Deux fois son père, voyant qu’elle n’y pourrait demeurer, alla l’exhorter à revenir près de lui. Il ne put d’abord la ramener, malgré ses pressantes instances. Elle avait résolu ou de rentrer aux Carmélites, si on ne la repoussait pas, ou de se faire religieuse à l’abbaye de Gif, ce qui eût été s’éloigner le moins possible de Port-Royal.
« Elle m’a écrit là-dessus, disait Racine à son fils, des lettres qui m’ont troublé et déchiré au dernier point... La pauvre enfant a eu jusqu’ici bien des peines, et a été bien traversée dans le dessein qu’elle a de se donner à Dieu. »
Il fallut, malgré son affliction et ses larmes, que Marie-Catherine, au temps de Pâques de l’année 1698, se séparât de sa chère grand’tante et de ses pieuses compagnes. Les austérités du couvent l’avaient tellement affaiblie que son père ne put lui permettre d’aller sur-le-champ les recommencer dans une autre maison. Elle dut se résigner à revenir sous le toit de ses parents. Là elle entendait rester fidèle à la sévérité religieuse. Elle aurait voulu ne pas reprendre ses habits du monde, repoussait toutes les parures de son âge, et souhaitait de ne voir personne. Mais bien peu de temps après, le 16 juin 1698, Racine écrivait à son fils : « Il m’a paru que votre sœur aînée reprenait assez volontiers les petits ajustements auxquels elle avait si fièrement renoncé, et j’ai lieu de croire que sa vocation de religion pourrait bien s’en aller avec celle que vous aviez eue autrefois pour être chartreux. Je n’en suis point du tout surpris, connaissant l’inconstance des jeunes gens et le peu de fonds qu’il y a à faire sur leurs résolutions, surtout quand elles sont si violentes... » Nous croyons que Racine non-seulement ne fut pas très surpris de ce changement, mais ne put en être non plus très chagrin. Témoin des incertitudes de la pauvre enfant, qui était « tantôt à Dieu, tantôt au monde, » et la voyant consulter tous ses directeurs, ce qui lui paraissait un indice suffisant du parti vers lequel elle penchait, il résolut de la marier ; et bien peu de temps avant de mourir, il put encore avoir cette joie.
Le 7 janvier 1699, Marie-Catherine épousa M. Collin de Morambert.
[ Extrait de la notice biographique de Jean Racine, de Paul Mesnard

 Site Théâtre documentation ]


L'enfant de Port Royal ne pouvait que se sentir ému à l'idée que sa fille prenne le même chemin que le sien, non loin des coteaux et des champs de Port Royal.

On parle peu du bref séjour de Marie Catherine Racine dans l'abbaye de Notre-Dame de Gif mais la découverte de ce détail m'a certes interpellée.

Après l'abbaye de Port Royal, voici l'occasion de parler de l'abbaye de Gif, tout en restant dans les brisées de la famille de Jean Racine.


L'Abbaye du Val de Gif


Les archives de la commune n'ont que peu de choses sur les origines de l'abbaye dont la construction remonterait dans les années 1000-1122.

Louis VII affranchit de toute charge les biens de la fondation de l'abbaye. Tout au long du 12ème siècle, elle est restaurée et placée sous la houlette de la royauté et de ce fait, arborant un blason représentant une reine entourée de trois fleurs de lys.

Plusieurs abbesses gèrent l'abbaye avec constance et dévouement en instaurant la règle des bénédictines :

C'est une discipline qui obéit à la règle sévère et austère de St Benoît, prière, chasteté, obéissance en sont les trois principaux devoirs.

Très appréciée par la population locale à qui la communauté offre assistance et secours, son heure de renommée décline quand la gestion des nombreuses terres qui lui appartiennent lui attire des problèmes.

D'autre part les guerres et les désordres sociaux désorganisent la vie de la congrégation.

Au XVII, l'abbaye se rapproche du jansénisme ce que Louis XIV ne verra pas d'un bon œil. L'ordre des bénédictines disparaît à la révolution.


Le salon de Juliette Adam

Juliette Adam, écrivain, femme de lettres, l'acquière en 1882 en l'état c'est à dire avec ses ruines, son parc, sa ferme et une maison de maître. Juliette fait rénover, agrandir et décorer la maison pour y recevoir ses amis, les artistes, écrivains et personnalités de l'époque. Elle y donne de grandes fêtes et elle y restera jusqu'à sa mort en 1936.

La propriété est ensuite divisée : ferme et terres d'un côté et maison et ruines de l'autre.

Dans les années 1960, le terrain qui abritait le potager de l'ancienne abbaye est racheté par la commune qui y fait construire un quartier résidentiel appelé le quartier de l'abbaye.


Entrée de la ferme de l'abbaye

Crédit : Archives municipales de Gif






Au temps de Juliette Adam…ruines du couvent, début XXe siècle

Crédit : Archives municipales de Gif








Les statuettes ornant le portail du couvent de l'Abbaye du Val de Gif , sis au 89 rue Juliette Adam et datées du XIXème siècle se sont présentées au "Concours National du plus grand Musée de France", une vaste chasse au trésor lancée par la Fondation pour la sauvegarde de l'art français avec l'appui d'Allianz France, entre Septembre 2021 et janvier 2022 pour identifier sur le territoire français une centaine d'oeuvres nécessitant une restauration.

Les deux statuettes arrivent en finale et affrontent le portrait de Napoléon à Melun et le plancher de Jeannot à Paris. Chaque région doit départager les trois finalistes par le biais d'un vote qui est demandé à chaque administré.

Le maire de Gif et son équipe municipale, déjà très émus d'être arrivés jusqu'en finale, se sont exprimés en ces mots :

- Les statuettes sont très abîmées et les inscriptions illisibles, dit l'archiviste de la ville en charge du patrimoine. L'origine de ces statuettes reste obscure et encore non élucidée. Des historiens avancent l'idée que Juliette Adam les aurait commandées quand elle s'est portée acquéreuse du domaine.

Les bénédictines représentaient à l'époque 40% de la population giffoise. La bâtisse est donc un élément très important de l'histoire de la commune de Gif.

Depuis plusieurs années, le domaine appartient à un propriétaire privé avec lequel la commune s'est mise d'accord pour rénover les statues. Ce lieu encore méconnu a besoin d'être valorisé.


Faisons cesser le suspense et révélons les résultats du Concours :

Gif sur Yvette arrive en finale du concours avec deux autres concurrents qui sont " Le portrait de Napoléon" sis à Melun en Seine et Marne et " Le plancher de Jeannot" à Paris.

C'est le portrait de Napoléon qui gagne l'épreuve avec 2264 voix, les statuettes de Gif arrivent en deuxième position avec 2098 voix et " Le plancher de Jeannot" récolte 149 voix.( Le plancher de Jeannot est un art brut, des planches de bois sur lesquelles un paysan de 33 ans, atteint de crises mentales, a gravé sa folie et ses souffrances dans les années 1960. Depuis 2007, le plancher est exposé devant l'hôpital Sainte Anne de Paris, découpée en trois totems géants ).

L' ancien couvent rénové L'ancienne abbaye avec attelage, année 1900


Ainsi, la commune cache au détour de ses sentiers, des ruines sauvages, inviolables. De vieilles pierres tracent un ancien passage, des niches secrètes révèlent des liens tissés entre l'humain et le divin. L 'ancien et le nouveau cohabitent, le visage de l'ancien s'éclaire quand un passant s'aventure dans son repaire. On restaure pour retrouver ce qui s'ensevelit mais jamais rien ne s'oublie ... et j'aimerais croire à cette union intense qui fait que la nuit va vers le jour qui lui-même revient vers la nuit.

Ginette Flora

Mars 2024



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4件のコメント


Colette Kahn
Colette Kahn
3月29日

La découvere d'un magnifique endroit en compagnie de Juliette Adam ❤️

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Il y a des endroits qui sont restés ainsi enfouis dans des recoins isolés de la campagne et quand on découvre leur histoire , on se dit qu'on ne sait toujours rien de ce qui nous entoure !

Bonne journée, Alice .

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Une découverte pleine d'émotions et de richesses...un grand plein de surprises trop belles à prendre au coeur ... merci Ginette pour ce lundi de Toi .. j'avais du retard mais quel bonheur quand je le rattrape !❤️

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Merci beaucoup pour toutes tes lectures, Viviane .

Belle semaine ensoleillée !

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