Elle est née en 1925 à Germont en Corrèze. Elle est décédée à Germont dans sa ferme natale.
Issue d'une lignée d'agriculteurs limousins, elle en conserve les liens et les usages jusqu'à la fin de sa vie quand elle meurt dans la ferme qu'elle a héritée de ses parents.
« Cette maison qui est la mienne, où j’ai fait mon unique voyage. Mais-est-il sûr que cette maison m’appartienne ? Et ce voyage est-il le mien ? »
Marcelle Delpastre
C'est avant tout une agricultrice.
En s'occupant des champs et des animaux, elle compte aussi ses rimes, elle engrange ses idées, elle enfourche dans les poches de son tablier les poèmes qu'elle consigne dans son carnet, le soir tombé, la nuit venue.
" Ce doit être quand même vers cette époque que je pris l’habitude de promenades dans les chemins autour du village, et que là, tout en marchant, ou bien arrêtée devant quelque mousse - une pierre, un ciel à travers les arbres - je me mis à composer des phrases... "
Poétesse, elle le devient.
Elle en a tant écrit de ses poésies qu'elle décide un jour sur les conseils de ses amis, de les publier. Timidement d'abord dans les revues et les anthologies. C'est ainsi qu'elle se fait connaître et apprécier. On l'appelle " La Marcela".
La conteuse des années 1960
Le mode de vie des agriculteurs se transforme considérablement. Les machines supplantent la main de l'homme, des gestes d'antan s'effacent pour se former à d'autres gestes. Une autre voix s'incarne, celle de la télévision qui parle et la tradition orale se perd. La voix des veillées s'éteint. Les chaînes de télévision proposent d'autres histoires autrement plus affriolantes.
Ce fut comme une révélation, elle voudrait répondre à l'ancienne voix et se fait le chantre des contes et des légendes de sa région en restituant l'esprit occitan au point de vouloir écrire dans la langue occitane.
Elle rejoint ainsi le cercle des écrivains de l'Occitanie en allant au devant des auteurs régionaux et en collaborant aux revues littéraires locales.
En 1956, elle publie sa première œuvre :
" La langue qui tant me plaît"
puis elle en publie d'autres :
"Les contes du mont Gargan"
"Le tombeau des ancêtres "
" La vigne dans le jardin et autres textes" qui sont mis en théâtre.
Les années 1970
"Les psaumes païens " la propulse au rang des écrivains de la région, se faisant l'écho des voix de leur terre ancestrale et vouant pour elle un attachement quasi religieux.
" Le bestiaire" rassemble les témoignages des récits des villageois, sur les gens de la terre, sur les bêtes sauvages, sur la faune et la flore.
Elle commence son travail d'ethnologue en étudiant les secrets et l'esprit d'un peuple.
Les années 80 et 90
Ayant hérité de la ferme familiale dans le village de Germont, elle y restera jusqu'à sa mort en 1998.
Les éditions Payot publient ses ouvrages.
Elle est invitée sur les planches de la télévision pour animer des émissions culturelles.
"Bouillon de culture " et " Apostrophes " lui donnent l'occasion de se rendre à Paris.
Elle contracte la maladie de Charcot et meurt dans sa ferme.
Son légataire universel, Jan Dau Melhau, éditeur et écrivain occitan, édite toute son œuvre.
Elle représente la littérature occitane et l'univers champêtre de sa région aux côtés de ses amis Joan Bodon, Bernard Manciet, René Nelli, Max Rouquette, Michel Chadeuil.
Son écriture
Son œuvre littéraire parle du monde occitan qui est son thème favori. Elle est allée par les chemins de son terroir pour glaner moult anecdotes et relier chaque usage et coutume orale à une tradition qu'elle rapporte avec le soin critique et objectif d'un historien.
Tout un chacun reconnaît sa part humaniste dans le grand "chant végétal " qu'elle cultive par ses mots où la glaise des sols labourés y conserve son empreinte.
La ferme de Germont en est le centre. Elle dialogue avec les éléments comme dans un cantique qu'elle élève jusqu'à ce qu'il devienne un cri, une révolte qui la surprend quand elle reconnaît la difficulté de son choix. On entend une voix, presque divine qui exhorte à aimer une terre parfois ingrate mais riche d'une sève intarissable.
Terre
" Certes, j’en ai parlé, de la terre. J’en ai parlé, j’en parlerai. La terre, pour moi, tout d’abord, c’était cette terre-ci, ma terre, la terre de mon pays.
La terre que je labourais, dont je tirais le rocher, le pré où je gardais les vaches, entre les haies qui montent haut – le hêtre et le noisetier, le cormier et le châtaignier -.Le sentier où je passais, que je frottais encore un peu. L’herbe que j’ai fanée, le foin que j’ai fauché. C’était le ciel de ce pays, les collines à perte de vue entre la brume et les nuages.
Ma maison. La maison de la terre, de pierre, de bois ; le seuil de la maison et la souche entre les landiers. Le feu, la fontaine et l’air, tout ce qu’il faut pour vivre, ce que j’ai à l’entour de moi. Mais la terre au –delà c’est bien la même terre, ce que porte la terre, ce que produit la mer, et le même soleil et les soleils d’ailleurs, nuées d’étoiles, fumée de poussière. Dans les profondeurs du ciel de tous les cieux, quelle que tu sois, poussière,
Je te chante la terre, ma terre, ce qui est en haut, ce qui est en bas, dans l’apparence comme dans l’être, je te chanterai toi, l’homme vivant – dans le secret de l’étincelle et dans le cœur de Dieu."
Confrontée à un monde en mutation, Marcelle Delpastre s'adresse à l'universel et le souffle parfois inquiet mais toujours vivifiant de son esprit est toujours d'actualité.
Des films ont été tournés , " Le chant végétal " , "A fleur de vie" , "Parole" ainsi que des documentaires.
Au mois de Février 2024, un documentaire " Du côté de Germont " est présenté à Limoges. Son réalisateur Renaud Fély y raconte la vie hors normes et hors conventions de la poétesse. Elle qui voulait être enseignante, a préféré retourner dans sa ferme et ses champs pour témoigner d'une vie de labeur à un moment où le basculement du temps agraire signifiait la fin d'un mode de vie.
Un questionnement la hante sur le nouveau rapport à la vie et la place donnée à chacun qui enterre les racines, les croyances, les met en état végétatif révélant la face amputée de la nouvelle race des humains.
A quoi croyons-nous? Quelle est notre place? Et que faire de ce désir de faire partie du monde ?
Le réalisateur explique que le documentaire était né d'une découverte, avant que la maison de la poétesse ne soit vendue, dans une malle au grenier, de lettres appartenant à Marcelle Delpastre, grande correspondancière qui à l'instar de Mme de Sévigné aimait écrire.
Il a compris qu'il fallait transmettre une mémoire, la qualité d'un cri devant le changement du monde rural.
La poétesse s'était créée une place indépendante. Elle incarnait une traversée, un arrêt devant un pont qui se brisait.
Sa poésie en parlant de la perte de la terre et des murmures de la nature, atteint une dimension humaniste. C'est la fin de la civilisation agro-pastorale. Que pense l'homme devant la perte de ce lien multimillénaire ?
La terre
"Il fut un temps pour te chanter, parole, poésie de vent.
Mais maintenant je tiens la terre à bras-le-corps, je l’étreins corps à corps, je porte entre mes bras la fraîcheur de la glèbe.
Je porte entre mes doigts le sable avec l’humus, et j’ai sous mes genoux la pesanteur des pierres. J’ai la fraîcheur du sable entre mes cuisses et la rugosité des pierres sous mes pieds.
Le gravier marque sur ma peau des lignes et des signes. La poussière me trace mes rides, avec ma sueur et ma salive. Avec ma sueur et ma salive, je fais de la pâte vivante. C’est moi qui sème les levures.
C’est moi qui creuse le sillon, moi qui sème le blé. Je porte l’eau jusqu’aux racines, et la récolte me revient. J’ai le poids du soleil sur mon cou, le poids du blé sur mes épaules, entre mes bras la pesanteur des gerbes; et le parfum des herbes embaume tous mes os." (Marcelle Delpastre)
En Mars-Avril 2024, Le Printemps des Poètes rend hommage à la poétesse au Musée Campanaire de l'Isle-Jourdain ( commune du Gers en l'Occitanie ) :
Marcelle Delpastre (1925-1998) paysanne et poète, témoin sensible d’une nature en voie de disparition, qui nous a laissé une œuvre poétique immense en occitan comme en Français. Perçue comme une paysanne par le monde littéraire, et comme une étrange femme qui écrivait par les ruraux, Marcelle Delpastre est restée méconnue pour ce qui l’habitait le plus : La Poésie.
Il nous restera ce sourire de Marcelle Delpastre, sa poésie et ce témoignage des temps d’avant, d’avant que les paysans ne deviennent des exploitants agricoles.
Ginette Flora
Août 2024
Magnifique portrait, encore une page qui s'ouvre de la terre à la poésie ! Une merveille ! merci, Ginette, merciiii ❤️
"Il nous restera ce sourire de Marcelle Delpastre, sa poésie et ce témoignage des temps d’avant, d’avant que les paysans ne deviennent des exploitants agricoles."
Grand merci, Ginette, pour cette découverte très émouvante.