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La veste


Ce n’était pourtant pas ces jours de soldes où l’on s’affaire à vouloir se trouver un article soldé pour se dire au fond de soi qu’on l’achète en solde et donc qu’on s’enlève la graine de culpabilité qui s'insinue dans les neurones dès qu’on se permet un achat griffé.

Je déambulais entre les rayons du magasin de vêtements en regardant les modèles de la nouvelle tendance à la mode. La dernière musique en vogue s’étirait dans l’air comme un appel à la joie ambiante.  Je regardais les blouses aux manches évasées  aux chaudes couleurs de l’automne. Des paniers regorgeaient de foulards et d’articles de fin de collection. Je me suis faufilée derrière les clientes intéressées par les rabais encore proposés sur les fins de séries. J'ai déplié les tuniques, j’évaluais les pantalons qui sur leur cintre, se présentaient, se laissaient étendre. Beaucoup de clientes s’éraient agglutinées autour de moi et, tentées par les mêmes vêtements, elles s’extasiaient, elles admiraient,  manifestaient bruyamment leur contentement.  


–  Mais  si, prends-le !


Je n’y fis pas attention. Une conversation comme une autre.


–   Non, mais non !


Cette fois, le ton me fit tourner la tête et je vis.

Un grand jeune homme se penchait sur une femme rajeunie par le regard qu’elle soulevait vers lui. Ses mains chargées de vêtements, elle les  tendait dans un geste impulsif barrant le geste du jeune homme qui reculait.


–  Tu les prends et tu en auras besoin  Si, si …. et cela aussi !


Elle prit une veste.


–  Cela te va parfaitement,  tu n’as pas  cette veste.

–  Mais non.. C’est trop !

–   Si, fais-le, prends aussi les écharpes et… 

–   Non, pas tout. Je prends la chemise et le pullover mais la veste...Non !


Une main lui toucha le bras si doucement qu’il fut incapable de répondre. Le regard implorant le traquait.  Il résista  quelques secondes mais sa longue silhouette se pliait de plus en plus. Ces yeux  remplis d’une attente muette et qui l’absorbaient, il s’y plongea, bras ballants.


–  La veste, je veux l’acheter moi-même. 


 C’était une tentative de protestation, comme un sursaut de son corps pour échapper à la quête maternelle.


–  Non garde l’argent pour tes frais, je ne veux pas, non mon petit.. . Regarde, elle est belle. La couleur que tu aimes…

–   Non, pas la veste ! 


Mais elle fit un geste pour le couvrir tout à fait du vêtement et le regarder, aspirée par sa propre émotion. Il arriva à balbutier :


– Je la prends si c’est moi qui l’achète.

–  Je te prends aussi le gilet et la cravate qui vont avec !


Il baissa la tête. Elle lui sourit, un sourire qu’il ne put éviter. Il partait, elle ne voulait pas qu’il le fasse sans avoir des affaires neuves. Elle sut graver le message dans son sourire. Il parut plus grand, plus tourmenté mais elle le dirigea vers les caisses.

 Il y avait tant de monde que je ne sus pas s’il avait réglé la veste comme il le souhaitait.

 A un moment, je les vis sortir du magasin. Il portait tous les paquets, il n’avait pas voulu que sa mère se charge d’un seul sac. Elle le regardait comme assoiffée, débordant d’une tendresse ivre, se remplissant de tout ce que son fils pouvait donner, de ce regard aimant, de ce corps si vite grandi, de ces bras encore gauches, de tout ce visage qu’elle ne verrait sans doute plus pendant  un certain temps.


Et moi je restai dans ma file qui s’allongeait. Je me surpris à supposer ce que pouvait bien signifier  ce petit échange. Le grand fils partait-il faire ses études  loin de sa famille ? Ou bien devait-il simplement se présenter à un entretien d’embauche ? Ou  bien avait-il  un voyage à entreprendre ?

Je restai sur une sensation ineffable comme si quelque chose m’avait effleuré et soufflé près de moi un frémissement de douceur.


Ginette Flora

Avril 2024

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