Gustav Mahler est un compositeur allemand ( 1860-1911).
Il compose une symphonie pour contralto, ténor et grand orchestre d’après " La flûte chinoise " de Hans Bethge, un recueil publié en 1907 qui rassemble plusieurs poèmes du poète chinois Li Baï (poète ayant vécu sous la dynastie Tang, né en 702 et mort en 762. Sensible à la beauté de la nature sauvage, sa poésie évoque son la vie, la mort, le temps). Les thèmes essentiels abordés par l'œuvre sont la nostalgie et l'infini qui sabordent le temps tragiquement vécu par l'homme,
" Le présent toujours, toujours "
A la lecture de la poésie ancienne de Li Baï, de Quian Qi, de Meng Haoran, de Wang Wei, Mahler en eut un écho intime à un moment où le compositeur traversait une période compliquée, jalonnée de drames familiaux. La poésie de Li Baï opéra sur lui comme un dictame, un moyen de sortir de la tristesse qui l’accablait.
Mahler alterne deux visions dans son chant. Si la vie est source de joie, l'existence de la mort anéantit tout autre forme de vie d'où la recherche d'une transcendance. Au delà de la 9ème symphonie, y-a-t-il quelque chose de plus palpable ?
Mahler ne se départit pas d'une attitude cynique car il est lucide tout en éprouvant de la compassion pour ses compagnons d'armes lâchés dans le vide abyssal.
L'époque est à l'exotisme et la Belle Epoque s'ouvre à l'Orient. On entend Turandot de Puccini, on explore l'Exposition universelle, les arts s'emparent du sujet, la sagesse chinoise est à l'honneur, Mahler découvre les poèmes de "la flûte chinoise ".
Les poèmes de Li Baî chantent la plénitude de la nature contrastant avec la vie éphémère de l’humain.
Mahler met six poèmes en musique dont 4 de Li Baï. La musique de Mahler répond mot pour mot aux poèmes de Li Baï.
Les 6 lieder sont accompagnés par deux solistes :
- Le chant à boire de la douleur de la terre ( sur une poésie de Li Baï)
- Le solitaire en automne sur un tempo lent (poésie de Quian Qi)
- De la jeunesse (poésie de Li Baï)
- De la beauté (poésie de Li Baï)
- L’ivrogne au printemps (poésie de Li Baï)
- L’adieu ( d’après la fusion de deux poèmes de Meng Haoran et Wang Wei)
Le chant à boire de la douleur de la terre (poème de Li Bai)
Interprété par l'ensemble Le Balcon
Extrait 2 "Le solitaire en automne " du Chant de la terre
Sur une poésie de Quian Qi
La malédiction
Composé en 1907, c’était la 9ème symphonie de Mahler. Il avait conscience que la malédiction attachée à toute 9ème symphonie écrite après la mort de Beethoven, pouvait s’acharner sur lui et peser sur sa composition. Il lui donne un titre moins provocateur, il la nomme « Le chant de la terre » ( 1906-1907)
Cette malédiction est une superstition selon laquelle chaque compositeur qui composerait une 9 ème symphonie après la mort de Beethoven (mort en 1827) ne tarderait pas à trépasser.
Dans un essai sur Mahler, Arnold Schönberg, un compositeur autrichien écrit :
« Il semble que la neuvième soit une limite. Qui veut la franchir doit trépasser. Comme si la Dixième contenait quelque chose que nous ne devrions pas encore connaître, pour quoi nous ne serions pas prêts. Ceux qui ont écrit une Neuvième s'étaient trop approchés de l'au-delà. »
Considérant qu’il s’était habilement joué de cette malédiction, Mahler écrit une 9ème symphonie en 1909-1910 mais il mourut durant la composition de la dixième.
Il meurt en Mai 1911 et six mois après, c’est en sa mémoire qu’en novembre 1911, un concert lui est dédié à Munich, dirigé par Bruno Walter.
Le chant de la terre , le « Das Lied von der Erde »
L’ensemble de l’écoute dure une heure. Quelques extraits de cette symphonie donnent déjà une approche de la poésie, de la musique, des voix et de l’émoi intime qu’elle soulève.
L’orchestration est d’une richesse inouïe : outre des instruments à vent, flûte, hautbois, clarinette, cor, trompettes, basse, basson, il y a aussi des instruments à cordes : harpes, mandoline et divers autres. Des percussions (timbale, cymbales, grosse caisse, tambourin et celesta.) Un celesta est un instrument qui se présente comme un piano avec un clavier mais les touches résonnent comme des coups donnés sur un tambour d’où son association à la famille des tambours. Le celesta est utilisé pour produire des effets féériques, de l'ordre du merveilleux.
L’année 1920 marque la première transformation du chant en orchestre de chambre.
L’année 1983, cette transformation est reprise mais est restée inachevée.
Janvier 2020, un enregistrement est fait par Reinbert de Leeuw.
1/ Le chant à boire de la douleur de la terre
Sur un tempo allegro en la mineur, c’est l'ouverture de la comédie humaine, le thème est sombre, c'est un regard sur l'humain condamné à vivre. Sur une clameur lucide, voici que se dresse une éternité glaciale, impassible. Nous n’appartenons qu’à la mort et lorsque nous nous croyons au milieu de la vie, elle ose pleurer en nous.
2/ Le solitaire en automne
C’est un mouvement lent comme un adagio, la musique évoque la solitude, l'absence de lumière et l'errance au bout duquel un bonheur apparaît, fuit et disparaît. La musique est triste, rebondit en un cri puis retombe. L'usage des flûtes et des hautbois accentue la triste tonalité. Il est dit que cette symphonie pourrait bien être un concerto pour flûtes.
3/ De la jeunesse
Evocation d’un paradis perdu. C’est un scherzo. Un raffinement pour signifier la fugacité des choses, l'amitié qui passe, la perte d'instants qui ont fui.
4/ De la beauté
Des jeunes filles en fleurs voient passer des cavaliers ce qui provoque un émoi. c'est l'expression de la volupté et du réveil sensuel au bord de l'étang où flottent des lotus.
Il faut noter ici deux pôles musicaux : la langueur d'un moment juvénile opposée à la fanfare agressive et brutale, comme une intrusion, une violation de la douceur. Les cuivres et les timbales se mettent à rugir.
L’univers pur se heurte à l’univers commun, bestial et brutal du désir.
5/ l’homme ivre au printemps
C'est un hymne à l'oubli . L’ivresse peut-elle combler le constat de l’illusion, de la fuite de tout bonheur ?
On peut penser à Siegfried dans le « Chant de l’oiseau » , le drame lyrique de Wagner.
La flûte annonce le printemps. La vie recommence.
6/ L’adieu
C’est un regard lucide sur les choses passées. La mort s'approche, on attend l'ami, il vient et il s'en va. C'est l'adieu. Ce morceau est un condensé du message de l'œuvre. Avant de sombrer dans le néant, il y a la nostalgie, la vision d'une vie qui a existé. C'est un regard sans espoir sur les humains. L'homme est seul et attend.
" Ô monde, à jamais ivre de d'amour et de vie ! "
Deux textes ont fusionné avec un ajout des propres vers de Mahler qui attend l’ami, qui espère la rencontre. Cette finale dure une trentaine de minutes.
Description musicale :
Mahler part d’un constat. L’éternité de la solitude engendre la nostalgie.
Puis il enchaîne sur une marche funèbre avant de sombrer dans le néant.
Le chant s’achève sur une éternité retrouvée.
Le choix des instruments répond à une intention précise : flûtes, harpe, celesta donnent l’expression des divers thèmes de la parade surnaturelle qui imprègne toute l’œuvre.
Les vents et les cuivres ramènent à la condition terrestre de l’humain.
Extrait 6 - L'adieu
Ce chant est une méditation sur le passage terrestre. Il est comme un soupir, un repos recherché entre les blanches palpitations qu'offre la vue de montagnes pérennes.
On y voit se préciser les trois temps, le temps d'avant, l'éphémère présent et le temps d'après.
La musique de Mahler dit que nous parlons toujours d'autre chose, qu'un autre temps s'installe entre nous, toujours.
Quelques vers de Li Baï
Depuis que le monde est monde
Toutes choses sont éphémères
Comme l’eau qui galope vers l’est
Dans ce monde des humains,
La joie et la tristesse sont toujours
Plus éphémères que les nuages passagers
Traduction ShiBo
Ginette Flora
Février 2024
je connaissais un peu mais tu m'as ouvert de nouveaux horizons sur ce compositeur ... encore une belle traversée musicale ! Merci Ginette ...❤️