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Le couvert de l'inconnu

Dernière mise à jour : 24 déc. 2023




Zachario avait fini de nourrir et de bichonner son troupeau de moutons installés dans la bergerie qui devenait leur lieu de repos après la disalpe, la rentrée des bêtes de leur transhumance d'été. Roxy aboyait en fixant les feuillages distordus des sapins comme s'il entendait venir l'orage par les aiguilles vrillées des branches. La vigueur de l'archet qui les stimulait, les vents mordants qui raidissaient les muscles invitaient à une dormance, une autre sorte d'isolement. La fin des estives sonnait le glas des longues foulées dans les hautes prairies piquées de fleurs intrépides.

Il se réchauffait les doigts à l'incandescente ardeur qui flambait dans l'âtre grésillant du bourdon des bûches et des ronces. Matias le forestier était venu lui proposer quelques chutes de bois. Ils étaient tous deux restés à boire lentement une décoction de plantes dans la voilure cuivrée des ombres. Zachario lui avait rapporté ses journées de labeur intense sur une terre de silence qui gardait closes ses portes aux jointures grinçantes. La frayeur survenait alors.


- La frayeur ?


- Oui, le silence est un avertisseur d'une tension, le silence dévore le corps et se comporte comme une bête prête à bondir. C'est à ce moment qu'on se sent devenir comme un loup, qu'on comprend la transformation qui s'opère. J'avais tous mes sens prêts à sortir leurs griffes, ma chair se hérissait, je ne reculais pas, c'était l'affrontement primitif de l'homme et de la bête et on en parle peu. Ce danger, même Roxy mon chien le connaît, il gronde mais il se tait et c'est un silence lugubre car lui sait avant nous ce qui va se passer. Je ne pouvais pas prendre le risque de perdre mes moutons, les plus apeurés se laissaient empaler sur les crocs d'un prédateur sans même hurler. Le danger silencieux est le plus perfide. C'est de notre instinct primitif dont je faisais l'expérience. De quel côté j'étais ? Des bêtes ou des hommes? Comment s'en sortir ? Comment réagir rapidement devant l'imprévu ?

- La paix, plutôt une sorte d'apesanteur, la lévitation, la sensation de s'élever, l'as-tu ressenti un moment ?


- Oui, il existe une caresse, celle de la solitude d'un silence impérial mais je vivais aussi un éclatement de mes sens, je sentais tout, il y avait un défilement de bruits qu'on entend dans un total dépouillement. Alors, tout parle et je devais garder mes moutons loin de toute présence malveillante.

- Il était là ?


- Le loup ou une autre bête prête à me foncer dessus ? Oui, je l'ai senti jusqu'à faire circuler plus vite le sang dans mes veines. Il y a aussi une brèche ouverte que les moutons reniflent vite, ils s'échappent pour goûter l'herbe ailleurs, là où l'interdit la rend plus verte et il faut partir à leur recherche en laissant le troupeau à la surveillance des autres bergers. L'entraide entre les humains va faire place à la lueur qui veille dans la lanterne portée par les explorateurs des pâturages, ces herbages que les moutons mâchent et engloutissent au point de s'en rendre malades. Là aussi, nous arrivons avec notre simple science qui d'une main caresse la tête duveteuse et de l'autre administre un dépuratif.

Il y a l'expérience de la nature avec la faune et la flore et aussi l'expérience avec les autres au coeur d'un élément naturel qu'il faut connaître pour en retirer de bonnes ressources.

La chaleur était devenue réconfortante, la protection des murs de pierre les avait enveloppés dans une chape de douceur, le logis simple mais garni de chaudes couvertures les avaient rapprochés et Matias, engourdi par l'instant violoneux, avait laissé passer quelques bribes d'un passé qu'il n'abordait que rarement.


- J'ai suivi un berger dans cette sorte de procession qu'est la transhumance. J'ai veillé en me sentant plus près des étoiles, je buvais du thé chaud, je ne disais rien, j'écoutais chanter la liberté des mes compagnons, je vivais leur vie rude mais choisie, il fallait tenir quelques mois, j'ai fait une sorte de stage et depuis j'aime le silence des sous-bois, celui de la respiration des moutons, les chuchotis des plantes, les trêves avant le travail harassant qui consiste à regarder le silence dans lequel les bêtes marchent comme des dieux en leur domaine.


Zachario tenait entre deux mains serrées une tasse brûlante, se frottait à la chaleur du breuvage, ses doigts allaient de l'anse à la bordure, il laissait sinuer sans s'en rendre compte, une flopée de notes mélodiques, la tasse laissait monter un paravent de brumeuse fumée où il se souvint avoir dit :


- Ce que je croyais rude, c'était la vie solitaire. Je ne rencontrais quasi personne. Ce métier est une expérience avec la vie animale. C'est moi qui dois les comprendre et non l'inverse. Si je les comprends, je peux prévenir le prochain mouvement d'humeur qu'ils ont décidé de faire. J'ai appris à être à l'écoute de tout, de la direction prise par le vent, de la tache qui obscurcit le ciel, de la sensibilité qu'un animal peut avoir au contact du moindre des gestes car pour le mouton comme pour le loup, tout a un sens puisque la parole leur est soustraite.


- Avais-tu le temps de penser à toi ? demanda Matias attentif et préoccupé.


- La place est immense, c'est moi qui suis devenu petit et ce que j'éprouve trouve toujours à s'enraciner, à grandir, à se fortifier au milieu des prairies, des collines, des pierres où sont couchées les plantes de la vie. Les eaux des roches, celles qui fusent dans un engoncement me rappelaient que j'étais dans un monde insoumis, inconnu. Seul un chant vient me guider quand je tombais devant elle, l'eau si claire, si dépouillée de toute impureté comme arrivant d'un bout de terre vierge, cela me surprenait. Je n'étais pas écrasé par les grands espaces, je flottais au-dessus des étendues immobiles car de place, il n'en manque pas. Je pouvais aller où je voulais et pourtant je ne pouvais abuser de rien. Et je regardais mes moutons, je parlais à Roxy qui devait aussi ressentir les mêmes soubresauts et se décider à aboyer ses interrogations.


Matias avait hoché la tête :


- Cela veut dire que des étonnements s'installent en nous par petits coups d'ailes, de ciel et de terre. Qu'as-tu emporté en redescendant dans le village ?

- La rudesse comme la plénitude. Il y a aussi dans les hauteurs ce qu'il y a en bas mais en bas nous ne recevons pas ces contrastes de la même façon.


Un coup frappé à la porte lui rappela qu'il avait rendez-vous avec les organisateurs des veillées de l'Avent. On lui demandait d'animer quelques soirées en racontant son expérience du métier de berger, sujet qui pouvait intéresser et susciter quelques vocations chez les jeunes natifs du village. Un nouveau courant se dessinait dans les esprits, on n'allait plus vers les opportunités de la ville, on recherchait les travaux de la terre à la campagne qu'on alternait avec les déplacements vers les nécessités offertes par la ville. A l'approche des fêtes, un berger qui parle de son étoile était un sujet de bon aloi.

Il apprit que des concerts du soir renoueraient avec une ancienne tradition médiévale et qu'on entendrait des groupes de musiciens jouer des sonates et des compositions baroques qui ponctueraient son témoignage. De jeunes gens prêtaient leur talent de musicien ou de poète. La paroisse avait demandé à Zachario d'être le conteur, l'homme itinérant, le métèque pendant les veillées précédant la nuit arrêtée au-dessus d'une grotte.

Le village s'affairait, on entrait dans les derniers jours de Décembre, les illuminations étaient dans les yeux, les promesses de la venue d'un évènement accompagnait chaque geste. On pensait au couvert de l'inconnu, celui qu'on ne pouvait écarter de la nuit des vivants et c'était comme une rhapsodie qui jouait de son cymbalon.

Il y avait eu la nuit des morts mais si les textes parlaient de la nuit des vivants, au mois de décembre, on pensait à l'autre nuit, celle où l'on accueille un passager qu'on ne connaît pas, étranger ou revenant, celui qu'on attend sans vraiment l'attendre car il est un élément de la nature, celui dont la présence devient inouïe tant il vient de nulle part, paré de sa seule vérité, celle de venir rester un moment auprès de ceux qui pensaient aux êtres perdus, aux êtres dont l'âme pouvait circuler et se poser.

Pour cette harmonique sur laquelle le village avait fleuri ses ruelles et déployé des étoiles d'imagination, les esprits étaient orientés, galvanisés par une idée qui remontait du fond de leurs entrailles avant que l'envie ne leur vienne de relire ce que des siècles durant on avait dit de lui, l'autre habitant du ciel.

Jasmine avait été sollicitée de toutes parts. Elle se rendait compte que d'avoir pris le pouls de divers groupes formés aux représentations culturelles, des idées et des projets, elle en avait treize à la douzaine. Elle avait créé quelques pâtisseries à partir des confiseries provençales : bugnes, gâteaux aux amandes, l'inévitable brioche plate "la pompe à huile" et les galettes de lait. A la recette traditionnelle, elle avait apporté une autre pâte sans toucher aux quatre mendiants qui sont les symboles inamovibles, les fruits secs des ordres religieux.

Le repas de la veillée, elle en avait suivi scrupuleusement le déroulement et elle avait disposé les trois nappes blanches sur la table et sorti le chandelier à trois branches. Elle ne prit pas le temps de s'attarder sur le chiffre trois à multiples connotations. Pour elle, c'était juste le ciel, la terre et la mer, c'était juste les sentiers de terre avec clairières et futaies où ondule un ruisseau tandis qu'au dessus de tout, le ciel veille sur la création.

Une fois les couverts mis, elle trouva une place pour l'inconnu après avoir longuement fait le tour de table, après avoir médité, après avoir reculé dans la lumière descendante pour voir l'effet que pouvait rendre un inconnu dans la pièce familiale.

Elle aurait voulu rompre la galette aux cinq branches, rompre à la main sans la couper et restituer tout le sens qu'on donnait à "ce geste de rien qui sauve de tout", ce pacte avec l'invisible bouffée de joie qui pouvait s'installer entre un inconnu et soi-même.


- Il fait beau, ce soir. On pourra processionner jusqu'à la chapelle. Je vois que vous avez pensé à tout, ce n'est plus tellement nécessaire de vouloir présenter les treize pains. C'est devenu herculéen de les rassembler tous ! J'ai pensé à vous apporter quelques desserts...

C'était Zachario qui faisait sa ronde en distribuant des nouvelles. Il n'était plus tout jeune, mais on ne lisait pas son âge. Sa voix savait prendre toutes les inflexions, du paisible au grondement, il avait une voix qui portait, s'enténébrait quand il vivait de silence. Elle se remplissait de mots doux quand il avouait son étonnement ou son impuissance devant la solitude, l'air vivifiant des alpages s'ébrouait dans sa voix que les montagnes connaissaient pour l'avoir entendue et renvoyée en écho dans les pâtures.

- Merci pour les fruits exotiques, j'hésitais entre le kiwi et la mangue. Un casse-tête ! Vous m'ôtez une épine du panier à fruits ! J'ai assisté à vos interventions dans les concerts du soir, vos contes vont faire grand bruit.


Zachario ne se savait pas une âme de conteur. Il était arrivé aux soirées en se demandant ce qui allait se produire. Il ne savait pas si c'était de voir les visages attentifs tournés vers lui ou si c'était l'action d'un fluide exercé par le violoniste et son groupe à cordes qui jouaient entre deux intermèdes mais il n'eut pas de crainte ni d'hésitation pour parler de son passage dans les montagnes. Il pensait tomber sur un auditoire qui peinerait à comprendre, à l'entendre parler de l'immensité, de la soudaine luminosité branchée sur les crêtes qu'on n'atteignait pas. Il n'en fut rien. On l'écoutait dire que s'il y avait un dieu, on n'avait pas à le chercher, que rien n'était vide ou désert, que chaque coin de terre était rempli et que la voix des cieux était comme un chant qui montait dans le silence du jour. Il parla de l'aube relissant ses plis d'un vernis pourpre, du crépuscule abandonnant ses pelisses ocre au passant en godilles trempées.

" Le couchant est un fauve repu, se préparant pour un long sommeil. L'aube est une fée, c'est l'enchanteresse qui nous accompagne tout au long de notre journée. " dit-il avec ce soupçon d'alcool onirique qu'il ajoutait à ses mots pour masquer le désarroi qui chaque fois montait en lui quand il se sentait comme un extra-terrestre au milieu d'une foule.


Les veillées passaient comme des heures où le grain tombe et se lève sans se blesser. Il en vint à parler d'un conte qu'il avait lu pendant ses longues soirées dans les collines.

- C'est un berger qui parle de son métier. Il perd ses bêtes et part à leur recherche dans les rigueurs d'un climat qui n'a rien à voir avec le nôtre. Il est accompagné de son chien et d'un bélier. Cette union entre l'homme et les bêtes qui se soutiennent dans les épreuves est un voyage vers ce qui nous métamorphose. Au contact d'une nature inflexible qui nous force à nous soumettre, il n'y a pas de place pour se croire au-dessus des lois. On implore une clémence divine, on parle de Dieu, on le sait présent et on s'interroge.

" Le premier dimanche de l'Avent marquait le début des préparatifs des fêtes. Chacun s'y préparait à sa manière mais celle de Benedikt n'appartenait qu'à lui. " *


Cet extrait comme les autres que je souhaite vous lire, je les ai choisis pour vous montrer combien le travail que nous faisons, obéit à des forces intérieures, se heurtent à d'autres forces, se consument et ne s'achèvent jamais.

Les bergers font un travail de pastoralisme au milieu d'une tramontane qui souffle furieusement. Le troupeau et le berger font corps, s'unissent pour mieux affronter les dangers. L'animal n'est pas une chose, c'est un vivant qu'il faut comprendre si on veut veiller sur lui. Et c'est là qu'on apprend à se connecter avec une autre force. Il y a des moutons qui sont réceptifs et d'autres qui ne réagiront à rien. Il y a des caractères divers comme chez les humains, il y a des solitaires, des rebelles, des agressifs. La présence d'un chien, c'est le trait d'union entre le langage des bêtes et celui du berger. Le chien rassemble les bêtes, retrouve la bête égarée et assure une connexion entre l'univers animal, végétal, minéral, humain et divin.

C'est un métier que d'être berger, on étudie l'agronomie, les sols, les maladies, les soins d'urgence et on s'aperçoit à la longue qu'on apprend toujours au contact des bêtes et de la réalité dans laquelle elles nous plantent. Il nous faut donc retrouver la part animale et primitive de notre âme, se réjouir d'un paysage ou d'une odeur, d'une lumière qui fuse tout soudain à l'horizon.


"Le berger n'imaginait pas pour autant que les cieux allaient s'entrouvrir, mais il y avait sûrement une petite faille. Non, il n'était pas seul. Pas complètement abandonné. Il regardait autour de lui, faisant sien tout ce que son regard embrassait. L'obscurité envahissait la campagne et la lune se devinait derrière les nuages, et les nuages étaient pareils à des montagnes de glace flottante, aussi réelles que celles qui pâlissaient à l'horizon.

Un soir comme celui-ci, avec le lac gelé recouvert de neige, la terre paraissait plus plate que d'habitude. Et, au milieu de cet univers livide, presque fondu dans l'obscurité, un homme se tenait avec ses amis les plus proches, Roc le bélier et le chien Leo. Cet univers était le sien. Le sien et le leur." *

"Va doucement, va calmement

Et lentement mais sûrement

Après la nuit, viendra le jour

Après les éclairs, le tonnerre " *


La voix grave de Zachario suivait les harmoniques jouées par le corps des musiciens. La griffure du violon emportait vers un ailleurs en rupture avec le quotidien. Elle remuait les cendres, les braises couvaient encore tant la vibration rappelait l'intensité d'un moment vécu.

"Avec de tels compagnons, on n'est jamais seul au monde. Il leur devait tant ! Un jour, pourtant, il aurait à prendre cette décision : une balle dans le crâne pour l'un, et un coup de couteau pour l'autre. Malgré le caractère sacré, inviolable, de la relation entre un homme et un animal, il y a le prix à payer : la responsabilité. On est maître de leur vie mais aussi de leur mort. En toute conscience. C'est ainsi. La vie fait mal, parfois. Ceux qui on dû prendre cette décision le savent. En un sens, les animaux sont destinés au sacrifice. Mais quand on suit le droit chemin, est-ce que toute vie n'est pas sacrifice ? " *


Les auditeurs ne partaient jamais sans garder un trouble au fond de leur conscience. Chaque conte réveillait leur esprit, leur indiquait que rien n'était acquis ni figé. Ils s'en retournaient en redoutant l'instant où tout se montrerait et transformerait leur quotidien.

La nuit était lumineuse, les étoiles brillaient, une clarté sidérale éclairait le centre du village et le parvis de la petite chapelle.


- Quand est-ce qu'on nous donnera nos cadeaux ?


Jasmine fut ramenée à la réalité, à l'angle de la rue où la procession serpentait, la petite fille emmitouflée lui souriait.


-Tu les ouvriras demain tes cadeaux. Aujourd'hui, tu sais qu'il y a quelqu'un qui n'aura rien, nous pourrions penser à lui.

- Qui n'aura rien ? Tout le monde a quelque chose !

- Tu crois vraiment ? Je me le demande maintenant que je te vois. Il y en a qui ont perdu leur route et qui ne savent plus où aller. Alors, ils visitent. Il y en a qui aime et qu'on le leur dise aussi.

- Oh moi j'aime tout le monde, ce sera facile pour moi de l'aimer celui que tu crois ne pas pouvoir aimer.


Et après sa fine déclaration, la petite fille s'en alla rejoindre sa mère.

Jasmine eut un dernier regard vers les érables qui bordaient les maisons. Les sapins dominaient la place. Jasmine ne savait plus qui viendrait, elle pensait à la table dressée et chargée des treize desserts, des plats simples mijotaient dans la cuisine. Tous les ans, elle se demandait toujours qui pouvait être l'inconnu à qui on avait laissé une place dans chaque famille. Des visages apparaissaient, apaisés mais mystérieux. Il y avait aussi ce qui pouvait surprendre. Elle se souvenait d'un hérisson qui grattait sur le bord de sa fenêtre. Un message trouvé sous sa porte l'avait également perturbée et jamais elle n'avait pu trouver l'auteur des voeux formulés à l'ancienne, le village parlait d'un ménestrel dans les rues où parfois on voyait passer Ralph le violoniste étrangement disparu pendant la nuit où chacun festoyait sans se douter que des âmes pouvaient être happées par des étoiles. Des êtres existaient, animal ou végétal qui voulaient participer aux ébats du monde en attrapant un habitant puis en le laissant retourner à sa vie terrestre. Ralph, les villageois juraient à qui mieux mieux qu'ils l'avaient rencontré, vu et salué. L'histoire était allée ainsi grossir le grimoire des affaires extraordinaires.

Elle se souvenait d'avoir passé les jours suivants, un sourire aux lèvres et d'avoir eu envie de chantonner.


La chapelle resterait ouverte toute la nuit, des âmes pouvaient venir les visiter, elle y pensa durant toute la célébration où les chants remplirent la nef, les travées et les transepts. Le froid passait à travers les portes que les fidèles ouvraient pour se resserrer dans les rangs, se perdre dans les foules des pèlerins. La porte qui était poussée, la giclée d'air froid qui s'infiltrait, elle tressaillait. Mais qui pouvait venir ?

Un concert s'était formé à la sortie de la chapelle. Un accordéoniste, un violoniste, un flûtiste et un joueur de vielle avaient repris un vieux cantique de Hildegarde de Bingen.

Le chant d'extase n'ignorait pas la blessure qui sanguinolait, elle était magnifiée et profondément portée par une onde d'allégresse. Un véritable face à face, c'était cela l'inconnu. On lui accordait de l'attention. L'héritage essentiel, c'était l'histoire de chaque personne, le calendrier perpétuel, le couvert de l'inconnu.

Sur le parcours du retour, on n'entendait que les rires des enfants. Jasmine sentit à peine les doigts de Matias sur son coude :


- J'ai un cadeau pour toi, dit-il en lui donnant un livre enrubanné par une branche de houx. C'est l'histoire d'un berger.

- Tu ne veux pas venir finir la soirée en nous racontant un peu plus sur ce berger ?


Il eut un regard étoilé. Elle n'avait jamais rien su de lui sinon qu'il assistait beaucoup d'âmes en peine. Une fois encore, il partait, toujours plus loin, ses voyages vers les constellations, elle les avait si souvent imaginés mais on n'imagine pas un rêve, on finit par l'écrire et à en faire un conte. Elle l'avait appris auprès de lui :


- Le couvert de l'inconnu, c'est celui d'un homme éteint qui sait comment revenir. Tu ne seras jamais un inconnu pour moi, tu es celui qui ne meurt jamais.


Il savait que c'était un cadeau précieux qu'elle lui faisait, il était tout entier dans son regard confiant qui ne se dérobait pas comme si elle avait enfin atteint un royaume.

Elle se sauvait déjà, elle partait avec sa souffrance sous le bras.

Décembre 2023

Ginette Flora

( Le village des santons- épisode 4)



*Les extraits proviennent du livre

" Le berger de l'Avent" de Gunnar Gunnarsson (1936)




Zachario, le berger Ralph, le violoniste

(Santon Maryse di Landro) (Santon Maryse di Landro)

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4件のコメント


Colette Kahn
Colette Kahn
2023年12月26日

On ne se lasse pas de cette promenade dans le village des santons... Noël 2023 est derrière nous mais mais la magie est toujours là !

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Ginette Flora Amouma
Ginette Flora Amouma
2023年12月26日
返信先

Merci Alice et tout continue encore...

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Fournier Viviane
Fournier Viviane
2023年12月24日

Magnifique Ginette ... en grand !

" - Cela veut dire que des étonnements s'installent en nous par petits coups d'ailes, de ciel et de terre. Qu'as-tu emporté en redescendant dans le village ?"


Si beau et doux et tendre et vrai ... Merci et jolies Fêtes ...Bises sous le sapin !🎄❤️🎈

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Ginette Flora Amouma
Ginette Flora Amouma
2023年12月24日
返信先

Douces et joyeuses fêtes à toi aussi et bises sous le sapin également

🎄🌺🎻

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