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Le Fort des Fées


Il était offensé, le petit bonhomme barbu dans son costume vert et son gilet rouge lacé de fils d’or. Son chapeau vert, il sentit qu’il était de trop, un peu encombrant dans cette ville où les passants lorgnaient sa tenue en souriant. Lui, il se dandinait, il se faufilait derrière les barrières  des jardins, les portails des parcs. Il cherchait le Fort des fées.


–  Mais ce n’est pas possible ! Il n’y pas de fée dans cette ville, ni de  lutins ni de farfadets !  Des lampadaires, des  engins vrombissants, des voitures endiablées, il n’y a que cela et j’ai failli me faire emboutir !


 Sa journée avait commencé avec l’espoir qu’il rencontrerait une fée. Il avait failli en croiser une quand il avait vu cette jeune fille danser comme une déesse  dans cette salle. Il avait vu qu’elle était chaussée de chaussons en satin rose ! Il n’avait pas pu résister, lui le savetier qui répare le chausson d’une paire. Il avait attendu le moment où la jeune danseuse s’éloignerait pour subtiliser  un de ses chaussons : une merveille de meurtrissures, des heures à remettre en forme le pauvre chausson malmené !

 

Chaque année, il aimait aller à la recherche d’une fée. Les fées sont réputées pour cacher des trésors dans leur foyer, il aimait chaparder. Il avait inspecté tous les arbres de la ville, des chênes aux érables, ils n’avaient pas trouvé d’arbres aux fées.


– Savez- vous où se trouve le Fort des Fées ?


Il semblait pressé, cet homme, à qui il posait la question qui faisait fuir. Il s’attendait à être rabroué.  Le passant prit la peine de se mettre à son niveau pour l’examiner. Mais c’était pour lui dire :


–  Mais j’ai une sorte de berlue ! C’est bien le leprechaun de la St Patrick !


Et il s’en était allé  si vite que le ciel s’était figé.

Brhogan se retrouva  seul devant un sentier  qu’il décida de suivre. Il avait déjà visité tant de bâtiments qu’il sentit une petite fatigue  lui titiller le bas du cou. Il serra sa besace contre lui. L’or était bien caché quelque part,  son chaudron d’or attendait d’être réapprovisionné.

Brhogan le savetier ne voulait rien perdre de sa superbe. Le sentier débouchait sur un parc. Il enjamba le grillage en fer forgé, surmonté d’angelots qui lui rirent au nez. Eux s’ébattaient à l’air libre. Brhogan remontait des profondeurs de l’écorce terrestre. Ce n’était pas de bon augure. Son humeur s’en trouva froissé que ni le bel alignement des arbustes  de sureau ni les aulnes et les frênes  ne vinrent adoucir. Il ne trouva pas le refuge des fées dans les hautes branches. Des bancs jalonnaient les allées pierreuses. Il se hissa sur l’un d’eux et déposa sa musette  d’où s’échappaient  des lacets de chaussures. Le ciel aussi  semblait épuisé  à vouloir donner des explications, il préféra tomber dans un embrasement courroucé au fond du parc ensommeillé.


–  Hé, vous, là-bas ! Le parc est fermé. Que faites-vous ici ?


Le petit homme sursauta et s’arrangea pour déguerpir au plus vite. C’était une question de vie ou de mort. Il ne devait pas être capturé. C’était la condition  de la légende qu’il portait dans son grimoire. Tout ne tenait qu’à une formule : fuir si on tentait de l’attraper car il ne pouvait pas supporter de perdre son temps à vivre en captivité. Il avait des chaussons à fabriquer pour les offrir à des fées. Il fila entre les haies soigneusement taillées, entre les ifs, les thuyas, les saules des plans d’eau, il se trouva une place pour faire l’inventaire de ses chaussons.

 

 Les chaussons roses, il en avait eu l’idée en suivant un groupe de danseuses qui se dirigeaient vers leurs cours de danse. Il avait pu assister à leurs pas soutenus par les bouts métalliques de leurs chaussons. Il avait observé leur grâce et l’état des chaussons élimés, usés jusqu’à en laisser voir quelques brins de fil.  Il ne pouvait voir passer des chaussons dans un état de délabrement sans se sentir  navré. Il en avait subtilisé un pour pouvoir le reproduire.

Il avait fabriqué tant de chaussons, des variétés infinies de babouches et de pantoufles   mais il n’avait jamais fait des ballerines qui avaient le reflet et la brillance de pantoufles de vair. Chaque chausson était une féerie de perles et de pierreries. Chaque pièce venait s’ajuster à sa faculté de donner du rêve à celles qu’il voyait s’étioler. Il les tournait et retournait, assis tristement derrière des buissons d’aubépines. Il y avait celle-ci qui luisait doucement dans la nuit, ses lacets en satin doré, il les avait voulues de cette teinte pour rehausser le tissu argenté de la pantoufle garnie de broches. Il la caressait comme hypnotisé, pas un seul défaut. La touche finale, il ne  la mettait que lorsqu’il avait approché et compris  ce je ne sais quoi de la personne à qui il voulait offrir la pièce unique. Parfois, c’était une fleur, parfois une feuille, parfois un sou, le sien, un de ses sous qu’il perforait d’un trou et fixait sur l’encolure de la pantoufle.

 Il pouvait passer des heures à dessiner un modèle avant de le fabriquer. A la nuit tombée, il s’approchait du réverbère de la lune dans l’espoir de trouver des fées. Il lui arrivait de s’asseoir près des sources et prendre le temps d’attendre que  des naïades sortent des eaux farouches.

Sa nuit fut agitée à vouloir ressasser les mémoires de son chaudron. Le jour le rattrapa. Il s’ébroua mais quelle ne fut sa stupéfaction  de voir la jeune fille du cours de  danse ! Elle tenait un chausson  dans la main. Il se réveilla d’un bond, prit chapeau et sacoche et s’apprêtait à filer car nul ne devait s’approcher de lui, il ne se laisserait pas capturer.

Solange le regardait tristement. Qu’y avait-il dans ce regard où une larme commençait à couler pour que le petit homme s’arrêtât brusquement ?


–  J’ai perdu mon chausson de danse. Tous mes rêves vont s’envoler. J’étais habituée à mon chausson,  il était magique. Quand je sautais, j’avais l’impression de voler dans les airs.


Le cœur  du petit homme n’en menait pas large. Il resta auprès de Solange en oubliant de fuir :


–  J’ai d’autres chaussons à te proposer, plus beaux, j’ai des pantoufles de vair uniques.

– Rien ne remplacera le mien. On a longtemps travaillé ensemble nos jetés, nos pliés, nos levés. Celui que j’ai perdu est irremplaçable.


Brhogan déballa son attirail et lui montra toutes ses ballerines. Solange, les yeux brillants contemplait chacune d’elles avec envie mais elle hocha la tête :


– J’accepterai bien une paire mais ce sera juste un cadeau. Je ne pourrai pas danser avec quelque chose de nouveau.  Mon chausson rose, c’est avec lui  que je vis jour et nuit, il est vieux, il est décousu  par endroits, il y a  des traces de ma main qui l’a recousu. Il est taché, et fripé par les frottements de mes exercices. Je passe sur lui mes joies et mes colères. C’est lui que je cherche et je ne comprends pas comment j’ai pu le perdre.


Brhogan se sentit ligoté  par un  cordon invisible. Il avait dérobé l’âme d’une fée. On avait trouvé un autre moyen de le capturer, il en était saisi de stupeur. La légende dit que trois vœux peuvent libérer  de cette prison de « vair ».


–  Que souhaiterais-tu là tout de suite ?

–  Mon chausson rose, bien sûr !

–  Et tu as d’autres vœux ?

–  Oh, mais tu vas te moquer de moi.

– Non, je n’en ai pas le temps.  Je ne sais qu’offrir des chaussons que je fabrique moi-même avec du rêve, du cuir et du papier.

– Oh ! Je voudrais tant danser comme les étoiles ! Je voudrais connaître le bonheur fou de devenir une grande danseuse.

Brhogan se sentit libéré. Les vœux prononcés seraient exaucés  et lui pouvait repartir.

 

En passant devant la salle de danse, il retrouva le couloir par lequel il était passé pour voir danser Solange. Il trouva le divan et déposa le chausson rose qu’il avait dérobé, un chausson qu’il avait eu le temps de réparer.

Solange deviendrait une grande danseuse. Il glissa un trèfle à quatre feuilles en guise de talisman.

 

Mars 2024

 Ginette Flora

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6 則留言


superbe envolée dans un imaginaire qui me fait fondre ... ouiiiii !❤️

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Un petit pas de danse ...

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Colette Kahn
Colette Kahn
3月18日

Belle histoire d'un petit homme, d'une future danseuse étoile et d'un chausson rose- talisman...

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Un petit moment de rêverie dans le parc !

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Et la magie de se poursuivre via ce deuxième texte ! Qui vole un œuf vole un bœuf ou en l'occurrence un chausson rose, tous les espoirs et les rêves d'une Vie ! Est-ce pour cela que je tiens autant à mes vieux jeans élimés ? ^^ Beaucoup de poésie dans cette histoire, Ginette ! Nos vœux sont exaucés ! ^^

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Oui, c'est juste. On tient toujours à des vieilleries qui font justement le sujet des malles de ce blog !!

Belle journée à toi, Fred.

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