Pour accéder au village, les petites gens des bois environnants étaient agiles et habitués à se faufiler par des sentiers et des pistes ouvertes à la fourche. Les allées déblayées se refermaient derrière leur passage. Ne restaient que les fleurs sauvages, pour garder les entrées que des vigiles acharnés obstruaient avec des paravents de digitales.
Des maisons en pierre aux toits en tuiles génoises s’accrochaient sur les parois des collines. C'était un hameau d’habitations serrées les unes contre les autres que des pins d’Alep et des sorbiers servaient de repères pour accéder aux marches en pierre grignotées par des polypodes coriaces. La rue des murailles, celle qui s’ouvrait sur une volée de marches, était régulièrement investie par les plantes entêtées à se montrer au soleil. La pierre grisâtre s’articulait avec l’herbe verdâtre dans une sauterie de couleurs que le passant ne pouvait ignorer. Il se sentait interpellé, ses sens bousculés, il remontait les pentes, il ne pouvait s’empêcher de se dire que l’herbe avait progressé depuis sa dernière visite par les étroits passages fendus par des interstices écroulés entre deux pierres.
Au-delà des toits de cuivre orangé que la lumière teintait de lueurs fauves, les montagnes se montraient dans leur masse grise, ouvrant sur leurs flancs, des forêts rudes tapissées de sous-bois conduisant à l’entrée de leurs domaines. Même le ciel s’accordait un instant de répit pour porter le paysage dans son iris bleui de poésie.
Matias achevait de ranger son atelier où les branches brisées et les souches abandonnées s’entassaient. Ils les avaient cherchées, retirées de leur environnement devenu fiévreux, les sols alourdis de feuilles cramoisies s’embrumaient. Il avait pris soin d’enfouir les racines profondément, leur décomposition donnerait naissance à d’autres plants. Il en était à refaire les gestes en se répétant les mots de réconfort qu’il devait aux plantes. Il était leur maître forestier sans pour autant être leur bourreau. Il élaguait, nettoyait, écartait les importuns. Il les appelait affectueusement les envahisseurs, il y en avait aussi dans le règne végétal. Les villageois empruntaient les sous-bois qui se révélaient être un raccourci appréciable pour descendre vers les communes plus achalandées. C’était aussi une halte pour visiter Jasmine la conteuse qui vivait à la limite des monardes aux lames rouges et des genévriers. Des associations de quartiers en faisaient leur destination favorite quand il s’agissait de randonner dans les parties très boisées et affleurant les montagnes. C’était aussi le champ de batailles des enfants durant les congés de leur année scolaire quand des professeurs d’école férus de chênes et de pins, les embarquaient dans leurs balades dominicales en leur racontant qu’ils étaient accompagnés des sylvaines de la forêt.
Matias prenait souvent le pouls du hameau en venant proposer ses services. Il se mêlait ainsi aux conversations, écoutait les soucis matériels que les plus inquiets lui confiaient. Le bois de chauffage venait à manquer, le bois, leur précieux complément au chauffage électrique dont il fallait surveiller sans cesse le prix et la consommation.
Dans sa grange, Matias entassait des bûches, des copeaux, des dosses et des ballots de sciures. Il ne perdait rien de tout ce qui appartenait au bois, pas même les esquilles. Le bois donnait tout de lui, même sa petite mort. Des fibres de bois, il les cédait à l’artisan du hameau qui les transformait en pâte d’où étaient tirés des fils de fibre, envoyés ensuite dans des usines de textile pour être tissés. Matias ne voulait pas voir trépasser le bois sans observer un rite qu’il avait institué à chaque retour de saison. Il conservait avec piété les branchages secs, les rameaux brisés, les tiges fragiles, tout pouvait être partagé, il en remplissait ses brouettes et sortait sa charrette avant les premiers jours de l’hiver pour aller visiter les maisons qu’il savait manquer de l’essentiel. C’était sa veillée, on attendait son passage, les clochettes accrochées sur la charrette annonçait son arrivée et de voir les visages par les fenêtres, d'écouter s’animer le centre du village, de saluer les enfants accourir prendre à cœur ses jobardises, il se savait comblé. Sa fête, il la célébrait sur le parvis de la petite chapelle nichée entre des sapins et des épicéas que les villageois décoraient avec ce qu’ils possédaient.
L’affaire du bois le préoccupait. Il alla les consulter. De vieux arbustes se sachant dépérir, lui dirent :
– Nous vieillissons, c’est normal que tu nous mettes en tombe en nous donnant une chaumière.
Porté par cette voix, Matias ramassait glands et faines, feuilles et branches, « Le bois qui a chu doit apporter une autre sorte de chaleur et de réconfort ». La forêt des merveilles, il ne la touchait qu’avec précaution, lui le forestier élagueur, tailleur, s’efforçant d’ordonner le désordre affairé des sous-bois où il avait souvent entendu une vie s’organiser dans un crissement de feuilles écartées, de petits pas furtifs, de nymphes aux aguets attendant qu’il passe avec sa bienveillance et ses douces remontrances. L’énergie des sols en vibrance l’avait toujours ému, il y trouvait sa raison de vivre, il comprenait qu’il devait aussi faire sa route dans un cycle, autre, mais un cycle qu’il acceptait.
– On parle de camions qui viendraient perforer les forêts, scier des troncs des châtaigniers, des mélèzes, des pins et rapporter un peu de bois aux villageois.
Les esprits s'électrisaient. Il se voyait leur dire :
– Les châtaigniers sont d’un beau brun sombre et vigoureux. Ils sont pleins d’une confiance intérieure, une force semble les guider. J’y retire ma propre allégeance dans les choses et les êtres.
– Ils les abattent, pas tous mais ils savent qu’ils repousseront plus fermement.
Il y avait eu un silence. On ne parlait pas du bois sans y mettre une réserve instinctive. Le bois, c’était comme un guide, la proximité d’une main amie, le refuge, le chalet.
Matias, préoccupé, marmonnait sans savoir que certaines oreilles fines percevaient son désarroi. Quelques dizaines de maisons restaient soudées à la margelle de la féerie. Il y avait les belles bastides, un peu en retrait, il y avait les maisons plus simples sans étage, leur point commun, c’était le bois. Mais toutes les maisons savaient s’illuminer les jours de fête. Parfois de manière fruste, ce qui donnait à la lumière diffuse une source d'évocation nostalgique.
Le village était adossé sur un dénivelé, s’appuyait sur un bois de taillis et de buis, sureaux et lauriers achevaient de l’entourer et de le retenir sur la pente où s’étageaient les bâtisses en pierre.
Une brasserie, la seule du village restait éclairée tard dans la nuit mais il ne s’y aventurait que pour glaner quelques informations. Il se faisait souvent du souci pour Jasmine. Tous parlaient et s’ils venaient pour se taire, les langues se déliaient au bout de la fin d’une chope ou d’une tasse de la boisson choisie. Il y avait du bon comme du mauvais, comme il y avait le haut et le bas, les hauteurs des collines où étaient construites les nouvelles cabines en rondins de bois brut et plus bas, les maisons simples en pierre collées les unes contre les autres. Et les sentiers qui descendaient vers la vallée cachaient un étang où s’étaient forgées des légendes.
Elles s’étaient installées d’elles-mêmes à mesure que les paroles s’en allaient, quand les plus imbibés d’ivresse se pressaient à parler des créatures surnaturelles qui peuplaient les montagnes. Des bribes de mots, des aveux lâchés, des visions qui hantaient les esprits, à force d’être répétés, avaient formé le patchwork d’un répertoire montagnard, des contes teintés de merveilleux que des nymphes entretenaient quand l’un ou l’autre promeneur égaré dans les cailloux avait vu voler des fées enveloppées dans de blanches écharpes. D’autres parlaient de sylphides croisées dans les forêts au cours de randonnées restées épiques. La rumeur avait constitué un vivier où survivaient les échos de batailles anciennes grondant dans les tonneaux de la terre.
Matias n’avait accordé que peu de crédit aux contes des illuminés de la brasserie jusqu’à ce qu’il rencontre Jasmine, la guérisseuse, la sylphide des bois, celle qui sculptait des statuettes et les peignaient en faisant revivre les êtres et les objets d’un village de montagne.
Il pensait à la fleur qu’il lui offrirait, une rareté, un daphné sauvage. Il en cherchait chaque fois qu’il ramassait les bouts de bois et les éclats de bûches, il espérait confusément trouver la plante, celle qui jaillirait du tapis de feuilles desséchées, pulvérisées par les bottes de ceux qui avaient tranché les troncs, leur sève sanguinolente imprégnait encore les sols. Il le sentait au bout de ses doigts quand il écartait les folioles. Des arbustes avaient été meurtris. Il s’en inquiétait, on s’approchait des fêtes, les vrais trésors se trouvaient dans les bois, champignons, pommes de pin, écorces, racines dans l’humus qu’il fallait vaincre pour arriver aux véritables joyaux. Et la rose de Jéricho. Une plante sensible qui le déconcertait par sa capacité à se régénérer au contact d’une larme.
Il pensait aussi à une azalée, en trouverait-il ? L’an dernier, il avait apporté un cyclamen mauve, la jeune femme sans âge était restée longtemps émue, il en ressentait chaque fois la vibration dans son cœur déboussolé. La maison en pierre apparaissait au détour d’un virage, il avait monté les derniers sentiers, il aimait se dire qu’elle vivait dans une clairière.
Elle lui avait raconté qu’elle aurait pu s’installer dans les bourgades voisines mais elle avait préféré rester près des racines. Elle s’y ressourçait, aimait entendre d’autres bruits, se laisser bercer par d’autres voix qui lui devenaient familières. Elle ne perdait plus son temps à regarder tomber les pierres dans un ravin ni à fuir des furies qui sans trêve la harcelaient, des harpies la talonnaient, elle le lui dit, elle lui dit beaucoup mais Matias savait que dans le peu qu’elle lui avait dit, c’était lui qui avait compris beaucoup de ce qu’elle avait vécu et aboli.
Dans les bois, dans sa maison en pierre, elle attendait sans savoir ce qu’elle attendait et quand Matias arrivait, elle se disait que l’attente n’avait pas été vaine. C’était l’attente de la lumière. Il venait comme on vient avec une chandelle qu’on pose sur une branche et tout le temps que durait leur cérémonial, elle ne perdait pas de vue l’étincelle qui brûlait dans ses yeux. Il y avait quelque part autour d’eux une étrange paix quand il arrivait avec une brindille de saule ou de colchique. Elle prenait le temps de l’écouter, une autre voix si différente de celle qu’elle avait entendue. Elle appréciait sa présence, elle se laissait réchauffer sur le brandon d'une émotion jamais éprouvée et qui rompait le temps dans lequel elle vivait. De se savoir déposée dans le vestige d’un temps ancien que le cœur exige de connaître frappait son isolement d’une trépidation qu’elle aimait en silence. L’isolement physique pèse, l’isolement de l’esprit sauve.
La chandelle se consumait, une gerbe de reflets brasillait sur les joues de Jasmine. Matias semblait inquiet. Il s’efforça de donner une explication à celle qui le regardait sans faiblir :
– Je visiterai bien chaque maison mais je sais que le cœur n’y est plus. Le pain, les gâteaux, les cartes précieuses pour découvrir le chemin des elfes, j’en donnerai aux enfants pendant ma tournée de bois.
– Les treize desserts !
Matias leva un sourcil.
– Tu crois que ... tu crois qu’ils feront les treize pâtisseries ?
– Ceux qui tiennent au rite, oui. Ils se saigneront pour pouvoir le faire.
Mais Matias ne répondit pas. On s’économisait en tout, on comptait les denrées une à une, les coupures partielles du courant électrique agaçaient les plus patients d’entre eux, une saison d’ouragans et de tempêtes dantesques, ils en avaient vu passer les mois derniers, les eaux farouches avaient eu raison de la munificence des villageois. Leur conscience sombrait, se rattrapait aux derniers jalons d’une vie passée à s’accrocher aux rituels d’un calendrier qui annonçait impitoyablement l’arrivée des veilles autrement plus pesantes. Ils ne voyaient plus les visages de leurs ménestrels préférés. Ils n’entendaient plus leurs joyeuses modulations. Perchés sur les branches, les serins gringottaient, laissaient passer de brefs cris pour se figer en secouant la tête.
– J’ai déjà préparé quelques gâteaux pour la veille de la soirée où les enfants viendront chanter devant ma porte les « carols » qui leur plaisent, je leur donnerai mes dernières trouvailles. Les forêts s’enrichissent de ces passages, les contes se tricotent avec ce qu’ils nous laissent comme messages. Je ne sais pas ce qu’ils préparent cette année, je les attendrai avec un peu plus d’impatience.
Matias refusa de répondre à son regard plein d’étoiles. Il épiait les bûches qui crépitaient dans la cheminée.
– Tu ne réponds pas ?
Jasmine avait posé la question, les yeux rivés sur le profil impassible de Matias. Les ferments de sa pensée envahissaient la pièce plongée dans un clair-obscur qui attirait les ombres. L’un comme l’autre se savait porteur de la double empreinte qui les marquait de la plus basse lumière à sa plus haute fréquence. Ils n'essayaient plus de trouver la porte de sortie de l’une ou de l’autre. Matias ne voulait pas ouvrir la lucarne où les senteurs venues des ruelles viendraient semer la gigue dans la paisible chaumière empierrée.
Jasmine chercha une nouvelle fois à éprouver la passerelle du cœur avant de l’emprunter.
– Les enfants ne viendront peut-être pas cette fois. Je comprends les nouveaux dangers, on ne les laissera pas sortir, même chaperonnés, chacun se sent en danger. J’ai pensé contourner le problème en les visitant moi-même et j’apporterai les treize desserts dans chaque maison où vit un enfant.
Matias leva enfin les yeux vers elle, il y mettait ce qu’il ne voyait pas qu’il y mettait et que Jasmine recevait avec une attention soignée. Il y laissait passer un flux de joie vers elle, celle qui la sanctifiait. Il lui laissait l’invisible entrée de ses bras qui la complétaient, l’enracinaient sur un socle plus fermement enfoui que le son d’une parole qui tomberait comme tombent les feuilles mortes de l’automne. Ce qu’il lui donnait, c’était le pacte précieux de sa présence à un moment où elle traversait ce qu’elle pensait être un danger.
– Pour tes friandises, je sais où trouver les champignons dont tu as besoin pour tes créations de petits gâteaux.
La fine bordure d’un apaisement s’installa. Matias pensait déjà aux fougères géantes qu’il retournerait avec au coin de ses tempes un tressaillement de plaisir pour l’offrande qu’il ferait. Il sentirait le crissement des feuilles brunies par la bruine stagnant sur les folioles d’une prêle. Un bolet, une girolle, une chanterelle, un cèpe et le marasme des oréades pour lequel il avait une préférence, le champignon au chapeau conique qui reprenait vie quand on l’humectait, il aimait visiter le petit peuple des sous-bois. La rosée ou la pluie faisait revivre les plus desséchées d’entre « les marasmes » à l’image d’une vie toujours rétablie après de pénibles passages obscurs, champignons renaissant et retrouvant leur unité première dans une explosion de vie. C’était un spectacle dont il ne se lassait pas car il aimait se dire en voyant leur vie régénérée qu’on pouvait retrouver la force d’exister même après un profond dessèchement des sens. Il l’avait appris au contact d’une foule de petits êtres vivants heurtés par des géants et des inconnus. Si les montagnes avaient leurs oréades aériennes, si les arbres avaient leurs dryades discrètes, les sols confus d’humus confondu avaient leurs protecteurs et leurs savants.
Il marcherait au milieu des fleurs arborant des éperons, aux feuilles rougeâtres veinées de jaune, des bugles et des centaurées, il savait où les trouver. Il se repérerait aux clairières occupées par des oiseaux lyres dissimulés dans les branches. A leurs pépiements se mêlerait le chuintement d’une source vive. Il assisterait aux chorales des engoulevents. Un éternuement du vent et il verrait fuir l’écureuil qu’il aimait guetter et c’était comme s’il allait vers le proche liséré de mont qui s’éloignait à mesure qu’il s’en approchait comme s’il voyageait dans un état de semi-conscience. Il prenait sa route en obéissant aux signes, aux plumes perdues par les loriots, il s’engageait dans les sous-bois sans savoir où les tunnels de verdure pouvaient le conduire. Cette ignorance qu’il devinait en lui le stimulait, il l’explorait, il entrait dans les futaies, il grattait les jonchées d’anémones, les abondances d’existences dans son existence.
En pensant à Jasmine, il partait vers des visages inconnus dont il dénouait les rides dans les tombées de fleurs sur les feuillages, derrière les saules où l’on devinait des gestes, des doigts qui retrouvaient le parcours d’une partition grattant sur des cordes. Des profils de macramé se formaient, un gémissement s’échappait alors, il ne voulait pas le fuir, il se maîtrisait, il s’attardait, la forêt avait un étrange langage.
Plus il entrait sous les tonnelles magiques, moins il en voyait la fin et sa quête le ramenait devant le mur des fêtes. Il était porté par une exigence, celle de comprendre et quand il rencontrait les habitants du village, rempli d’un panel d’offrandes qu’il libérait avec ses bûches, certains lui parlaient, d’autres se taisaient, ceux qui sans l’éviter le jaugeaient avec circonspection, il se doutait que dans le fond de l’air, une pensée diffusait ses gammes et qu’on ne pouvait se soustraire à leur voix. Il comprenait l’effarement des uns et des autres car il y avait aussi ceux qui voulaient venir à lui mais qu’il maintenait à distance. Il ne saurait expliquer ses sursauts d’éloignement, il suivait la courbe de son instinct qui le prévenait qu’il allait au devant d’une souffrance intime; s’empêtrer dans une autre souffrance n’était plus sa subsistance. Il avait bifurqué, il s’était trouvé un mas abandonné qu’il rénovait patiemment, doucement, en utilisant ce qu’il trouvait.
Parfois, il oubliait l’heure des repas mais ce qu’il n’oubliait jamais, c’était le temps toujours secret, toujours neuf de savoir que Jasmine vivait non loin près des bois, tout entière dans ses tâches, parée d’une solitude qu’elle éclairait de sa présence discrète.
Les oiseaux qui picoraient sur sa terrasse à la recherche de miettes, lui rappelait que son quignon de pain moisissait et qu’il était temps de se couper une tranche de pain de seigle, de la tartiner de margarine végétale, d’y placer une rondelle de concombre et de tomate, une feuille de céleri ou de persil. Il s’asseyait sur sa chaise à bascule et voir passer la nuée des merles dans un ciel majorelle lui apportait un indicible contentement.
Les jours qui suivirent le trouvèrent ombrageux et occupé. Il travaillait tout en se demandant si Jasmine s’en sortait avec ses livraisons de pâtisseries. Elle était toujours très active mais il la sentait sombrer dans une mélancolie qui la démangeait. Il la sentait frémir et sourdre à mesure que les nouvelles se passaient d’arbre en arbre et que lui parvenaient les relevés de ses moindres pas dans les sous-bois. Rares les mots qu’elle voulait abandonner sur les bords des fenêtres quand il venait avec des brassées de plantes dans les bras, de plus en plus rares étaient ses paroles comme si elle se sentait mieux sans avoir à rien dire parce qu’elle s’était approchée de trop prés de son ami, de ce qui l’ennoblissait, le cœur de l’aubier blanc qui le définissait et qu’elle savait être parvenue à y mêler sa propre essence.
Il était tout entier dans les endroits qu’il avait foulés, elle le nourrissait de sa joie intime. Sa mélancolie venait de ce qu’il adviendrait quand il partirait dans les limbes de la terre. Elle aurait aimé être une oréade, une sylphide des forêts capable de se nourrir des seules larmes du ciel quand les nuages éclataient et imbibaient son visage.
Les cloches allaient sonner à toute volée. La nuit de tous les espoirs arriverait, les chants s’élèveraient dans les salles où les concerts étaient programmés. Le village s’affairait, le boulanger comme le maraîcher. La place du village était pleine de petits cabanons tenus par les artisans. Chaque maison avait son spécialiste en arts du savoir-faire ancestral, une façon d’aimer, d’essayer d’approcher celui qu’on ne connaîtrait que parce qu’il chanterait les cantiques pendant la nuit de l’étoile du berger.
Matias le garde forestier, connu pour être un homme des bois mais qui cachait ce qu’il était, le voyageur des pages des livres, le façonneur des mots, celui qui avait tressailli une fois sous la poussée d’une splendeur et qui recherchait le trésor entrevu. C'était un personnage comme un autre, un santon du village.
Jasmine la conteuse modelait les statuettes et les peignaient. Elle était appréciée pour le trait précis et fin qu'elle traçait sur ses personnages, Jasmine la guérisseuse qui ne croyait pas seulement à la guérison par les plantes mais qui avait reçu un autre message : les plantes lui avaient révélé qu’il y avait une issue possible aux craintes invisibles et la conteuse avait trouvé la voie de l'espérance en faisant la lecture aux enfants du village. Des croyances circulaient, tissaient une toile de récits et chacun dans le village, le jardinier, la couturière, le facteur qui venait à vélo quand il le pouvait, le vendeur d’art, le berger, chacun se sentait exister et pouvait croire à la nuit de Noël.
Décembre 2023
(Le village des santons - 1er épisode)
Matias, le garde forestier
Jasmine, la conteuse
(Santon Maryse di Landro)
Santons habillés des maîtres santonniers de Provence
Jasmine et Mathias, deux personnages auxquels on s'attache en suivant le fil de ce texte, Ginette
Mathias, garde forestier amoureux de la Nature ! Comment pourrait-il rester de bois face à Jasmine ? Bien évidemment, moi qui ne suis pas aussi au fait des traditions de Noël que tu peux l'être, suis-je néanmoins allé consulter la fameuse liste des treize desserts... Un texte écrit dans le pur esprit du partage, Ginette ! Un grand bravo et merci à toi ! ^^
C'est beau Ginette ..le mois de Décembre commence si joliment avec tes lignes ..Merci❤️
Pour Matias, merci Ginette.