– Le matelas est bizarre. J’ai toujours l’impression de m’enfoncer dedans et d’y être enterrée.
Cela faisait plusieurs nuits déjà que Rosalie se plaignait de la propension de son matelas à s’effondrer comme la carcasse d’une épave. Après des années de bons et loyaux services, il se pourrait que ce vieux matelas se fût ramolli et n’offrait plus les mêmes commodités. Rosalie maintenait qu’elle ne parvenait pas à se départir d’un sentiment de malaise inexpliqué qui la taraudait et l’empêchait de dormir.
Il était juste temps de le changer. Rosalie insista sur les prestations que pouvait lui offrir un nouveau matelas. Ni trop bas, ni trop haut pour pouvoir se lever sans tomber de haut et pouvoir descendre du lit sans déraper donc un matelas d’une hauteur raisonnable. On se précipita pour l’amener choisir un matelas qu’on parvint à fourguer dans la voiture. "C’est un matelas pour une personne, donc inutile de l’arrimer sur le toit de la voiture". Conseil avisé mais néanmoins inconfortable. Le trajet se passa coincé dans les molletons de la carcasse. Une fois rentré, on peina un peu à sortir le matelas puis à le poser sur le lit après avoir délogé l’ancien qui, faute d’avenir et de repreneur, se retrouva ficelé dans le garage et voué aux encombrants.
Rosalie essaya le nouveau matelas après l’avoir recouvert de toute une literie en flanelle destinée à chasser l’odeur du neuf par des draps anciens déjà lavés et relavés. La fragrance du vieux devait pouvoir réduire l’effluve du neuf.
– Alors, demanda-t-on le lendemain. Ce matelas ? Il est parfait ?
– Non, il est dur, vraiment dur.
– Normal, il est neuf. Il faut l’user et à l’usure, il s’adoucira.
– Non, j’ai toujours l’impression de m’enfoncer.
Elle commençait à paniquer et à souffrir des visions d’horreur que le matelas dispensait tout au long de sa nuit et décida qu’il fallait le changer. Prompt à la demande, on embarqua une nouvelle fois le matelas neuf dans la voiture et on arriva au magasin du « matelas roi des foyers ». Rosalie exposa son cas. Le vendeur lui expliqua que tous les matelas étaient de texture solide et que celui qu’elle avait acheté était le moins dur et conçu pour les personnes légères. Rosalie essaya de nouveau le matelas puis avisa le matelas d’exposition qu’elle mit à l’épreuve. Elle le trouva plus approprié. Elle décida de le prendre mais constata que ce matelas était recouvert d’un drap housse. Le vendeur expliqua que les draps housses épais pouvaient adoucir le matelas et lui donner plus de souplesse. Il lui proposa d’acheter un drap housse avec protection anti-acariens, anti-rugosités, antibactérien et anti-tracas.
Rosalie revint avec le matelas et les accessoires mais dans la voiture, elle se souvint qu'elle n'avait pas essayé tous les matelas de la maison. Le doute s'insinua en elle et dans nos cellules grises déjà bien malmenés. On rapporta le matelas à peine acheté parce que Rosalie après réflexion, préférait prendre le matelas de la deuxième chambre qui était sûrement la plus indiquée parce qu’ayant supporté une autre personne, le matelas avait certainement ramolli harmonieusement. Donc elle demanda que le matelas du lit de la deuxième chambre soit déplacé pour être posé sur son lit.
Le soir venu, on s’inquiéta de savoir si ce nouvel agencement pouvait enfin convenir. Rosalie recouvrit le matelas de la housse hypoallergénique nouvellement achetée et l’enveloppa d’un drap housse froissé puis d’un autre drap vieilli et par-dessus lequel elle posa une couette adaptée à sa morphologie et qui avait elle aussi nécessité plusieurs déplacements et quelques fructueux essais.
Le lendemain, elle dit qu’elle avait réussi à passer une nuit correcte même si elle fut mouvementée parce qu’en se retournant, elle s’était rendue compte que l’ancien occupant du matelas surgissait dans ses rêves et que la vision d’un autre dormeur l’avait traumatisée.
Elle demanda à reprendre le nouveau matelas dans le magasin du matelas.
Il y eut une autre traversée vers le matelas nouveau, l’ancien réintégrant son lieu d’origine et le nouveau s’apprêtant à négocier une autre nuit avec son exigeant logeur.
Ginette Flora
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