Les rissoles de l'Aveyron
- Ginette Flora Amouma
- 6 avr.
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 avr.

© images Aveyron tourisme
Ce n’est pas seulement une spécialité pâtissière, c’est aussi une tradition villageoise qui remonte à plusieurs décennies où durant la foire aux rissoles, les jeunes gens pensent trouver leur âme sœur.
Nous avons à cœur de fêter chaque année la St Valentin, on la célèbre avec moult poésies et fleurs. Tant de chants lui sont consacrés.
Or, en ces lieux reculés de l’Aveyron dans les terres de la Segala et de Rieupeyroux où ne sont couchées que les pierres, dans cette immensité sauvage mais non dénuée de beauté, il court un bruit qu’une coutume magique réalise un vœu ancien, vieux de plusieurs strates géologiques. C’est de manger des rissoles aux pruneaux pour espérer rencontrer l’âme sœur qui purifie les esprits tourmentés par toutes les laideurs du monde.
Il existe dans le calendrier un jour qu’on appelle « le Mardi Gras » qui ouvre la voie à une longue période de méditation. Il y a aussi un autre jour moins connu, « Le Lundi Gras ». L’histoire dit que lors de « La foire à la rissole », chaque Lundi Gras, des âmes sœurs s’y rencontrent pour ne plus se quitter.
C’est le bal de la jeunesse, la joie d’une foire exubérante où la jeunesse se rassemble pour honorer non seulement une spécialité de la région aveyronnaise mais aussi pour perpétuer un rituel où les jeunes gens s’échangent des vœux. Les hommes offrent des bouquets de mimosa et les jeunes filles apportent des « raujolas », des rissoles qu’elles ont préparées selon la recette transmise de génération en génération.
Ce n’est pas seulement une rencontre pour la jeunesse, c’est aussi un hommage à la pâtisserie. La rissole de l’Aveyron est un chausson confectionné avec une pâte soit brisée soit sablée et fourrée de pruneaux dénoyautés mis à macérer dans une infusion de thé fort. Puis ils sont égouttés et écrasés, arrosés ensuite de quelques gouttes d’Armagnac ou de rhum et d’eau de fleur d’oranger.
Le témoignage en occitan de Michel et Yolande Andurand est à cet égard significatif :
Traduction en français
La foire de jeunes du Lundi Gras à Rieupeyroux
– Ah… les rissoles, c’était le Lundi Gras.
– Au mois de Février.
– Au mois de Février, au commencement de Mars, ça dépend comment ça tombait. Là, ils s’amusaient.
– Ah oui !
– Là, nous nous amusions, les jeunes, c’était la fête des jeunes, la foire des jeunes. Alors ils apportaient le mimosa. Ils apportaient un bouquet de mimosa et les demoiselles apportaient les rissoles dans leurs poches ou dans un panier accroché à la hanche. La demoiselle prenait le bouquet de mimosa et l’autre il fallait qu’il aille lui chercher la rissole. C’était un problème pour y aller ! Mais enfin, celui qui réussissait la mangeait, celui qui ne réussissait pas la lorgnait.
– C’était plus jovial qu’aujourd’hui.
– Nous restions toute la journée à Rieupeyroux. Malheureusement, ça disparut. Autrement, c’était une foire de jeunes, il n’y avait que des jeunes. Ce n’était pas une foire de veaux ni de vaches ni de cochons. C’était une foire de jeunes. Ce jour-là, les filles ne vous refusaient pas de danser même si vous étiez un peu mal foutu parce que nous ne sommes pas tous beaux. … Nous sommes faits à l’image de Dieu mais enfin nous sommes quelques-uns qui avons le nez de travers, les dents aussi ! Mais ce jour-là, elles ne vous refusaient pas de danser, elles s’amusaient. Et le dimanche suivant, elles ne voulaient plus de vous. Le dimanche suivant, elles choisissaient à nouveau tandis que ce jour-là, c’était la foire.
Il y en avait un de la Salvetat qui venait avec l’accordéon, il était borgne, il s’appelait Gustave. Celui-là jouait mais il ne pouvait pas être partout ! Il était dans un café, il ne pouvait pas être partout. Dans les autres, ils avaient une espèce de phonographe, là, mais avec cet engin, vous savez que nous ne dansions pas bien, pas très fort …
– Si avec des disques.
– Ah, sur la fin, sur la fin quand ils eurent mis ces haut-parleurs, ça marchait impeccable. Mais, penses-tu, en commençant, un joueur d’harmonica dans un coin …Nous n’entendions pas et nous faisions bien ! Nous faisions comme nous pouvions.
La recette de la rissole de l'Aveyron peut parfois prendre des tours inattendus !
Le charme enivrant de la rissole
Elle ne mettait pas la farine dans la jatte en terre cuite. Agnès se rappelait que sa grand-mère avait une façon de procéder qui l’étourdissait. Elle ne s’en était jamais remise quand la première fois elle avait vu le faitout sur le feu.
Angèle l’aïeule avait placé tous les ingrédients dont elle avait besoin sur un étrange plateau à trois compartiments : beurre, sel, farine, tous bien pesés et prêts à suivre la chorégraphie.
Agnès avait retrouvé le plateau dans la cuisine de sa mère Armelle avant qu’il n’atterrisse dans sa propre cuisine et qu’elle se retrouve elle aussi à faire des rissoles en pensant aux femmes disparues.
D’elles, ces femmes, Agnès ne pouvait s’empêcher de penser qu’elles avaient laissé plus qu’un savoir. Elles avaient une lueur dans le regard, une précision dans le geste, « un tour de main », l’énigmatique formule pour indiquer cette fixité dans le temps, cette capture de l’image qui faisait que Grand-mère Angèle interceptait un passage de sa vie et le revivait, absorbée, captivée par le réveil d’une braise ardente, exultant d’un bonheur qu’un profane serait loin de comprendre.
Agnès la voyait encore mettre de l’eau à bouillir, y ajouter le sel, le beurre, attendre l’ébullition. Lorsque les grosses bulles atteignaient le bord du faitout et criaient grâce, Angèle versait lentement la farine, toute la farine glissait, s’accrochait.
Le monde changeait de face, du moins la cuisine parce qu’Agnès voyait bien qu’Angèle à cet instant de pleine concentration, avait tout oublié de ce qui se passait ailleurs. Angèle touillait avec sa cuillère en bois, une vieille spatule qui elle aussi avait beaucoup voyagé et se retrouvait dans la cuisine d’Agnès.
Angèle changeait de posture. Elle tenait bien en main l’outil de la métamorphose qui allait s’accomplir dans le faitout, la pâte prenant forme au fur et à mesure qu’Angèle attendait qu’au bout de plusieurs manivelles, la pâte à rissoles prenne la texture et la forme qu’elle souhaitait.
Elle la reposait ensuite dans une terrine qu’elle couvrait d’un film transparent. La précieuse pâte partait se reposer pendant quelque temps, le temps de l’heure qui servait à remuer quelques réminiscences et à dispenser quelques conseils.
Angèle posait un regard attendri sur la pâte qui allait lentement prendre du volume. A travers la recette qu’elle visitait, elle avait l’impression d’avoir réussi la première étape d’une fête qui la rajeunissait.
– A quoi pensez-vous, grand-mère ?
Angèle se retourna, un peu secouée comme si elle émergeait d’un rêve.
– Vous paraissez tout soudain heureuse et comblée !
– Oh oui, ma petite. On préparait aussi des rissoles pour la foire à la rissole.
Agnès en avait entendu parler et quand le jour vint où elle-même fut entraînée à la fête, elle demanda à sa mère Armelle de l’aider à préparer des rissoles.
Il y eut dans le regard d’Armelle une étincelle qui la tint longtemps sur le qui vive.
Les pruneaux dénoyautés trempaient depuis trente minutes dans un thé corsé. Armelle avait choisi du thé vert pour ses vertus apaisantes.
– Ce thé vert ne prévient pas seulement le vieillissement du corps. Il t'empêche de vieillir les souvenirs. Si tu savais comme j’ai aimé cette fête ! Tout a commencé pour moi, ce jour- là !
Armelle écrasait les pruneaux qui avaient pris de la tendreté pendant leur macération dans le thé puissant et brûlant dans lequel elle les avait plongés.
En rajoutant au fur et à mesure quelques gouttes d’Armagnac et de fleur d’oranger, elle huma la suave odeur qui s’en dégageait. Ses mains un instant se relâchèrent, elle renversa la tête en arrière. De quel souvenir tout son être se mettait-il à exulter ?
Armelle avait-elle oublié que la dose d‘Armagnac avait déjà été ajoutée ? Elle suivait ses pensées, elle agrippait le flacon et reversait une autre dose.
– Attention, Maman ! Vous en avez déjà versé ! s’écria Agnès.
Armelle sembla sortir d’un songe puis son regard s’abaissa sur sa crème de pruneaux, elle eut un sourire qui intrigua Agnès.
– Vous y étiez à cette foire ?
– Oh que oui ! Et ton père s’est enivré de mes rissoles !
Elle éclata de rire. L'anecdote revenait, brillante, truculente, pleine de fantaisie et du frisson de l’infraction. Elle réalisait le geste qu’elle avait fait jadis pour faire pencher la balance et le premier qui avait mangé sa rissole avait jeté son dévolu sur elle, la deuxième rissole lui avait enlevé toute résistance. Armelle se souvenait à quel point ce jour-là, à cette fête, Bernard n’avait pas eu besoin de chercher très loin son âme sœur.
La double dose de l’Armagnac dans la rissole l’avait beaucoup aidé !
Ginette Flora
Avril 2025
Je ne connaissait pas le lundi gras et je suis ravie de l'apprendre.
Les aveyronnais aimaient bien se réunir et faire la fête pour danser et jouer surtout dans les bourgades. Maintenant la vie a changé. Le temps s'enfuit....
J'ai la chance de connaître un boulange qui vient le mardi matin de Rieupeyroux.
Sa clientèle fidèle et gourmande l'attend.