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Maurice de Guérin, un poète du Tarn

"Je regrette la feuille qui tombe de nos bois,

La rose qui s'effeuille si vite sous mes doigts,

Et le zéphyr qui passe sans nous laisser de trace,

Tout fuit si promptement !

Et ces instants les plus doux de ma vie,

Où sont-ils maintenant ? "

Extrait du poème " Ce que j'aime "


C'est un poète français (1810-1839), né à Andillac au château du Cayla dans le Tarn. La famille Guérin est originaire de l'Auvergne et les origines familiales remontent vers 1540. Il est issu d'une longue lignée de gentilshommes campagnards occupant de génération en génération le domaine du Cayla.



Archives des musées départementaux du Tarn


La poésie


Il développe très tôt un goût prononcé pour la poésie, encouragé par sa soeur Eugénie qui sa vie durant s'occupe de son frère après la mort prématurée de leur mère en 1819.

Destiné à la prêtrise, il entre dans un séminaire puis au bout de quelques années, s'inscrit au Collège Stanislas à Paris où il est logé par un cousin.

Il entame des études de droit mais préfère le journalisme, l'écriture de chroniques relatant les soubresauts de la vie parisienne, ses revendications sociales, ses joutes politiques.

Dans ce vivier vivace et fécond presque ludique, il donne des leçons de grec et de latin pour gagner sa vie. Il fréquente les salons parisiens.

En 1935, il écrit "les Pages sans titre", se mêle aux cercles littéraires, rencontre les figures majeures du mouvement romantique français de l'époque et leur influence s'insinue dans ses poèmes. Ses premiers écrits sont empreints d'une sensibilité lyrique. Il fut l'ami de quelques uns des représentants de cette esthétique.

Dans un accès de crise où une remise en question lui apparut comme nécessaire, il met le feu à ses écrits novices et ne conserve que :

" Le cahier vert "

C'est un journal où le poète note jour après jour ce qu'il éprouve au contact des plus petits évènements qui remplissent sa vie qu'il décrit avec minutie. Le poète s'y livre sans fard.


" Ô mon cahier, tu es pour moi ce que je n'ai pas trouvé parmi les hommes.. "

Le cahier vert recense aussi ses lectures. Maurice consigne ses commentaires après avoir lu Hugo, Goethe, Chateaubriand et il célèbre par maintes tournures poétiques son admiration pour la nature, son attachement aux racines de la terre mère rappelant l'origine du monde par les mythes qui l'ont interprétée.

Le cahier vert traduit ses interrogations sur l'homme et sa destinée.


A partir de 1835, il écrit des poèmes en prose.

Il écrit "le Centaure," un recueil de poèmes écrits dans un souci de poser une pensée sur le destin et sur ce que lui réserve l'avenir.

Extrait du Centaure


O Mélampe! qui voulez savoir la vie des centaures,
 par quelle volonté des dieux 
avez-vous été guidé vers moi, 
le plus vieux et le plus triste de tous? 
Il y a longtemps que je n'exerce plus rien de leur vie. Je ne quitte plus ce sommet de montagne où l'âge m'a confiné.
 La pointe de mes flèches ne me sert plus qu'à 
déraciner les plantes tenaces; 
les lacs tranquilles me connaissent encore, 
mais les fleuves m'ont oublié. 
Je vous dirai quelques points de ma jeunesse;
 mais ces souvenirs, issus d'une mémoire altérée, se traînent comme les flots d'une libation avare en tombant d'une urne endommagée. 
Je vous ai exprimé aisément les premières années, parce qu'elles furent calmes et parfaites;
 c'était la vie seule et simple qui m'abreuvait, cela se retient et se récite sans peine. 
Un dieu, supplié de raconter sa vie, la mettrait en deux mots, ô Mélampe!

Puis il écrit "La bacchante "

C'est un recueil de poèmes en prose d'inspiration mythologique.


Extrait de la bacchante

La Bacchante.

Voilà la montagne dépouillée des chœurs qui parcouraient ses sommets;  
les prêtresses, les flambeaux, les clameurs divines sont retombés dans les vallées; 
la fête se dissipe, les mystères sont rentrés dans le sein des dieux. 
Je suis la plus jeune des bacchantes qui se sont élevées sur le mont Cithéron. 
Les choeurs ne m'avaient pas encore transportée sur les cimes, car les rites sacrés 
écartaient ma jeunesse et m'ordonnaient de combler la mesure des temps qu'il faut offrir pour entrer dans l'action des solennités. Enfin les Heures, ces secrètes nourrices, mais qui emploient tant de durée à nous rendre propres pour les dieux, m'ont placée parmi les bacchantes, et je sors aujourd'hui des 
premiers mystères qui m'aient enveloppée.

En 1938, sa santé se dégrade rapidement et en 1839, il meurt de tuberculose sans avoir pu publier un seul de ses poèmes.


 La place de sa soeur Eugénie dans sa vie ( 1805-1848)


Eugénie entame une longue correspondance avec son frère pour maintenir un lien permanent avec celui qu'elle a pris sous son aile. A travers l'affection qu'elle dispense sans faillir à son frère, elle rapporte les menus faits de la vie quotidienne des gens de la région. Maîtres et serviteurs, paysans et cultivateurs, la correspondance devient un témoignage d'une vie dans l'Ancien Régime au XIXème siècle, dans les villages du Tarn.


L'héritage de Maurice de Guérin dans la littérature française


A une époque marquée en majeure partie par le mouvement romantique et l'appel du symbolisme nouveau qui se profile, Maurice de Guérin reprend les accents lyriques lamartiniens pour s'interroger sur certaines correspondances symboliques qu'il entrevoit dans sa recherche du devenir de l'homme et de sa destinée.

Il est passé comme un météore sur le paysage romantique français à tel point qu'on sait très peu de chose sur lui.

Seul son carnet vert, sa correspondance avec sa soeur et ses amis, ses recueils de poésies nous donnent quelques indices sur ce qui hantait le poète.

George Sand publie "Le centaure " en 1840 dans " La revue des deux mondes ".

D'autres écrivains ravivent son œuvre où passe une sourde exaltation, résultante de l'ambiance dans laquelle il vivait et agissant comme un écho à ses lectures.

La postérité se souvient du jeune poète contemplatif et solitaire.

Un de ses poèmes est cité par François Mauriac en exergue de son roman " Le mystère Frontenac" :

" Comme un fruit suspendu dans l’ombre du feuillage,
Mon destin s’est formé dans l’épaisseur des bois,
J’ai grandi, recouvert d’une chaleur sauvage,
Et le vent qui rompait le tissu de l’ombrage,
Me découvrit le ciel pour la première fois.
Les faveurs de nos dieux m’ont touché dès l’enfance ;
Mes plus jeunes regards ont aimé les forêts,
Et mes plus jeunes pas ont suivi le silence
Et m’entraînaient bien loin dans l’ombre et les secrets. "

Certains autres de ses vers sont repris par quelques écrivains :

" J'étais berger , j'avais plus de mille brebis "

Berger je suis encor, mes brebis sont fidèles

Mais qu'aux champs refroidis languissent les épis, 

Et meurent dans mon sein les soins que j'eus pour elles ! ", vers cités par Barjavel dans son livre " Ravage " (1943)


Rainer Maria Rilke, Paul Valery, Marguerite Yourcenar, l'abbé Arthur Magnier rappellent comment la brève existence du poète a laissé un sillon large et indélébile.

Mauriac dit que lire Maurice Guérin, c'est comme entendre du Mozart jouer sans fin une petite musique de nuit, un éboulement intérieur ou penser à Rimbaud s'enfuyant après avoir vécu ses illuminations.


Mort trop jeune, Maurice laisse un espace, un champ littéraire qu'il ne tient qu'à nous lecteurs de remplir de notre imaginaire en essayant de nous rapprocher de ce que furent ses aspirations vers un idéal secrètement recherché.

Il est l'héritier d'une longue tradition culturelle, d'une vie passée dans un domaine sous l'Ancien Régime.

Maurice en écrivant, essayait de s'affranchir des codes de son milieu social de noblesse déclinante, de témoigner d'un " SOI " en ébullition qu'une création littéraire permettait de cristalliser.

C'est le début de l'écriture intime.

Son nom ne fut connu que par un cercle d'amis. Sa sensibilité pieuse et délicate, les tardives publications de ses oeuvres n'ont pas contribué à élever une écriture qui se faisait le chantre du poème en prose.

Incompris, saisi entre les filets d'un Lamartine expansif et d'un Hugo prolixe et florissant, il n'eut guère le temps de tout donner de lui-même, lui qui admirait les possibilités offertes par l'écriture symboliste.

Poète du premier romantisme, il interroge l'écriture littéraire : "Quelle est la place de celui qui écrit ? "

Il répond pour lui-même :

« Je m'inquiète peu des hommes et des arrangements qu'ils ont faits de nos facultés ; je brise leurs systèmes qui m'entravent, et je m'en vais, libre, le plus loin d'eux qu'il est possible, reconstruire une âme et un monde selon mon gré. 

Déclarations reprises un siècle plus tard par celui qui lui voua une totale admiration.

Le poète Touny-Lérys ( 1881-1976) écrit dans un poème :


« Lendemain « (Au pays de Maurice de Guérin) : « La Gloire ?... En quelques mots, elle veille, elle dort !...
Certains ne commencent à vivre qu’à leur mort,
D’autres voient leurs lauriers se flétrir sur leur tête ;
D’autres ne savent pas que les cœurs leur font fête
Et, dans l’amour de l’œuvre où se donne leur vie,
Cueillent, jour après jour sur la route suivie,
La fleur de leur pensée en leur silence éclose… »

de Touny-Lérys


Le château du Cayla est devenu un musée et dans le parc, on peut voir une sculpture en pierre représentant un centaure, conçu en 1943 par le sculpteur André Abbal ( 1876-1953), elle peut être admirée depuis son installation définitive en 2014.

C’est une sculpture de cinq mètres de haut, composée de deux blocs de pierre superposés  représentant un corps de cheval et un buste d’homme rappelant le Centaure sage, amateur de musique et un peu prophétique, maître d'Achille et d'Hercule.

Touny-Lérys par l'entremise de son frère qui occupait des fonctions ministérielles, avait pu obtenir de l'Etat qu'une commande de sculpture soit passée, ce qui fut chose faite.



Le tout jeune diplômé Charles-Ferdinand Ramuz, venant de Lausanne, avait choisi de faire sa thèse de doctorat sur la vie et l'œuvre de Maurice de Guérin.

Il ne put mener jusqu'à son terme son projet qui fut jeté aux oubliettes.

Intriguée, je suis partie sur les traces de ce nom inconnu pour moi et j'ai pu exhumer ainsi cet auteur et faire partager le plaisir d'une découverte.

Ginette Flora

Avril 2024












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4 Comments


merci de c epatage en poésie, de ce Monsieur que je ne connaissais pas ... et j'ai trop aimé l'apprendre dans tes mots ...❤️

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J'aime beaucoup partager mes lectures et je suis contente que tu apprécies vivement .

Bonne et blle soirée, VIviane .

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Merci Ginette pour le partage. Belle découverte que cet auteur tarnais qui fut apprécié en son temps par les plus grands...

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Un auteur trop vite disparu.

Merci beaucoup pour ta lecture et bonne journée, Alice .

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