Figure majeure des lettres françaises Pierre Bergounioux, auteur giffois, est né en 1949 à Brive. Agrégé de lettres modernes, il a enseigné comme professeur au collège puis à l’École nationale des beaux-arts. À 30 ans, il commence à écrire. Il publie son premier livre "Catherine” en 1983. Une centaine d’ouvrages plus tard, il est devenu un auteur incontournable du monde littéraire.
En novembre dernier, il a reçu le prix de la langue française, en récompense de son œuvre qui contribue à illustrer “ la qualité et la beauté de la langue française ”.
Quand vous est venu le goût de la littérature ?
– Dans le ventre maternel ! Je m’explique. Depuis un demi-millénaire, la littérature s’applique à commenter et expliquer ce qui se passe. Pas un seul instant de notre histoire longue, collective qui ne fait l’objet d’un commentaire précis, approché, parfois étincelant et resplendissant. Et la France est très inégalement couverte par l’expression symbolique. Certaines régions - Paris et le bassin parisien, la Champagne, la Normandie, la Provence- sont commentées depuis toujours par leurs occupants. La Corrèze, où je suis né, est un département rural pauvre, de la périphérie, et parce qu’on y jargonnait l’occitan, n’a jamais reçu cette explication que la littérature, seule, peut donner mais qui était réservée aux régions riches. C’était donc écrit. Je devais commenter ma région qui était pauvre parce qu’il fallait quelqu’un pour le faire. Pour cela, je devais partir, venir à Paris et me dépouiller de ma simplicité villageoise. Au début de la trentaine, je me suis dit : j’aurais souhaité être éclairé par la littérature sur ce qui me tenait lieu de vie mais aucun des adultes ne s’est jamais hasardé à dire ce que nous étions. Donc avec une belle outrecuidance, une audace, une témérité qui confinait à la folie, j’ai attrapé le crayon coupable et j’ai apporté au papier criminel, les premiers mots qui se rapportassent à ce que j’avais vécu sur cette lointaine périphérie.
Pourquoi écrivez-vous ?
– Parce que nous ne sommes plus des analphabètes. Nous sommes autres. Je, vous, nous sommes cartésiens. Personne ne m’a remis de brochure pour m’expliquer ce à quoi j’étais confronté. Rien de tel. On était en blanc sur la carte. J’écris pour mettre en lumière la réalité à laquelle j’ai fait face. On n’avait pas de texte, de beaux livres imprimés garnis de nos racines. La littérature nous dit, tu es cela, c’est ça qui s’est passé ! Et elle seule peut le faire. La littérature, à mes yeux, a pour effet qu’en nous expliquant ce que sont les gens, ce qu’est une chose, elle nous facilite la vie parce que nous n’hésitons plus, nous sommes fixés. La connaissance aide à mieux se conduire dans la vie, nous procure une connaissance plus exacte de ce à quoi nous sommes mêlés, affrontés. Que disent vos livres ? Je vais citer Socrate : “ Je ne suis pas d’Athènes, je ne suis pas grec, je suis du monde ”. Je n’ai pas oublié cette leçon. J’essaie d’être du monde aussi. Que nous le voulions ou pas, que nous le sachions ou pas, nous avons absorbé dès notre naissance, le premier principe de la philosophie de Descartes. À savoir, il n’y a que deux choses dans le monde. Notre esprit : nous sommes des choses pensantes. Et face à l’esprit tout ce qui n’est pas lui, c’est-à-dire le monde étendu. Notre esprit fait face au monde et la littérature est la succursale de cette demeure rationnelle que nous avons édifiée et que nous habitons. Et le monde étendu est une énigme. Je n’ai pas besoin d’inventer quoique ce soit. J’ai en face de moi un rucher d’énigmes, une armée de mystères que je me serais efforcé, toute ma vie durant, de dissiper, de repousser. Et ça me suffit. Je pense que je mourrai sans être venu à bout de cette tâche que le passé, en quelque sorte, m’avait confié. J’écris sur les choses, leurs visages énigmatiques, parfois hostiles pour entrer dans cette clarté seconde qu’une connaissance approchée du monde nous procure. Pour moi, la libération et la révélation sont une seule et même chose. Si je sais ce en quoi une chose consiste, où elle commence, où elle finit, alors je pourrais moi-même occuper la place qui me revient. Je serai libre. Le livre a à voir avec la délivrance.
Vous venez de recevoir un prix prestigieux, comment recevez-vous cette nouvelle distinction ?
– La première chose qui me soit venu (en mode Flaubert!): “ les honneurs déshonorent ”. Il y a juste une chose, à laquelle j’ai été sensible. Je sors d’une région reléguée, moquée par la littérature française par mes prédécesseurs. Donc quand j’ai remercié le jury, je n’ai pas manqué de rappeler tous ces sarcasmes, toutes ces blessures symboliques dont nous avions fait l’objet. Pour moi, ce prix est une sorte de réparation.
Pensez-vous que la littérature ait encore de l’avenir ?
– Oui. Encore que. Je pense “ qu’elle a du plomb dans l’aile ” (si je peux m’exprimer aussi mal). En ce que son matériau électif, depuis toujours, depuis Homère, c’est la vie des gens. Or, depuis une centaine d’années, les sciences sociales qui sont nées conjointement en France et en Allemagne, se sont précisément emparées de ce matériau, en lui appliquant des procédés scientifiques. Les hommes, les femmes et les sociétés humaines font l’objet d’un savoir rigoureux, scientifique qui porte un grave préjudice à la littérature. Parce que bien des choses qu’elle aurait pu dire, le sont autrement et plus rigoureusement par les sciences sociales, on peut ne pas prendre en compte le fait que la vie se rationnalise. Y compris ce qui de prime abord semblait échapper à la raison. Les énigmes se raréfient. Donc la littérature a encore très certainement des choses à porter au jour, mais il faut compter avec la prolifération des sciences sociales qui éclairent ce qui étaient encore à une époque récente de son juste ressort. On vit une époque neuve. C’est une évidence.
Dossier culturel présenté par le mensuel d'information " Gif Infos janvier 2022 "
Voici un extrait de l'article que Claire Chazal a consacré à l'écrivain en Mars 2021 , publié dans le magazine LIRE.
"Il faut gravir le flanc de la vallée de Chevreuse, du côté de Gif-sur-Yvette, pour arriver chez Pierre Bergounioux, dans une maison habitée par d’innombrables objets d’art africain, masques et statuettes, auxquels répondent quelques-unes de ses sculptures tirées de ferrailles de récupération assemblées au fer à souder. Car l’auteur de Miette l’avoue : il aurait préféré être plasticien, manier la matière, plutôt que de triturer les mots inlassablement, afin de maintenir en vie ces terres pauvres d’où il est issu, ces campagnes de Corrèze auxquelles aucune place n’est faite, selon lui, dans la littérature. Écrire pour rendre compte de la vie modeste des terroirs privés de la culture émancipatrice. Voilà le pourquoi de l’oeuvre de Pierre Bergounioux. Une oeuvre riche de soixante livres, des écrits autobiographiques et des carnets. Une oeuvre politique comme une mise à l’épreuve permanente d’un socle de convictions marxistes. Aujourd’hui, il publie le cinquième tome de ce journal quotidien tenu depuis 1980. Un volume qui englobe le confinement décrété le 17 mars 2020. Une crise sanitaire qui va plonger l’écrivain dans la peur de perdre certains de ses proches. Les récits sont simples, témoignent de la fragilité du narrateur, de ses allers-retours en RER jusqu’à la capitale, de ses levers tôt après des nuits hachées, de son amour de la famille (sa compagne de toujours, ses fils, ses petits-enfants) et de ses bonheurs passés. Tout a basculé, dit-il, quand sa mère a quitté ce monde en 2015, la nuit même des attentats. Une mère qui l’avait entouré de sa bienveillance et avait approuvé toute sa vie de façon quasi inconditionnelle. Pierre Bergounioux a tenu son journal avant même de publier en 1984, à 35 ans, son premier livre, Catherine. Son écriture serrée, juste, ciselée s’est alors imposée. Elle rend compte d’une recherche acharnée de la vérité des sensations. C’est la plongée au coeur de l’existant de William Faulkner qui l’inspire, mais aussi celle de Claude Simon. S’il prend la plume chaque matin, c’est pour conserver sa mémoire, se prémunir contre la confusion. Et pour témoigner d’un ordre social immuable."
Merci de ce partage Ginette Flora