Les moissons sont engrangées. Les fruits aussi. Nous avons nettoyé les maisons et préparé des repas pour les visiteurs de cette nuit. Ceux-là sont des familiers que nous avons profondément aimés. C’est à eux que nous pensons en allumant nos lanternes au-dessus de nos porches. Lorsqu’ils passeront, ils sauront que leur présence tourbillonne dans nos cœurs, qu’ils sont partis trop tôt. Et il y a les férus de friandises, ceux qui viennent nous saluer avec joie, cris joyeux d’enfants, rires « un bonbon ou un sort ? », ceux-là se sont mêlés à toute cette fête ! En ouvrant nos portes, nous ne saurons jamais qui nous avons accueilli. Seul un léger vent pourra nous renseigner. Un souffle est passé ! Le chemin est éclairé, des photophores comme des fanaux clignotent faiblement partout ! Le terrain est balisé par des lucioles, les pistes sont tracées, on ne peut pas se perdre !
Et il y a les autres, ceux qui gémissent, qui se lamentent et rasent les murs. Pour eux, nous ne pouvons rien. Ils n’entreront jamais nulle part. Leur route est ailleurs. Ils doivent encore chercher. Pour eux, c’est la nuit la plus longue. Nous ne parlerons pas de ces pauvres esprits qui feront tout pour attirer notre attention, cris, hululements, menaces, vociférations, philtres, magie mais nous serons protégés par ces quelques elfes qui se profilent derrière les citrouilles joufflues. Ils portent des flambeaux rougeoyants et nous n’aurons pas peur !
Nous parlerons de nos héros pendant quelques jours. Ces premiers jours de l’automne sont les plus tourmentés, les plus profonds où l’on se pose des questions. Nos sens sont aux aguets et nous sentons tant de vibrations que nous regardons le ciel et la terre se charger d’étranges lueurs ! Des jubilés se célèbrent, animés par des messagères célestes qui après leurs tours de danse, invitent quelques élus à passer dans l’éternité. Nous assistons à des voyages interminables d’êtres qui s’affairent pour leur long périple, escortés par d’invisibles magiciennes. Dans des grondements de tonnerre, des bourrasques de vent, des averses de pluie subite, des crachats de feuilles rouges et noires, des rideaux de nuit mystérieuse, nous sentons que la terre tressaute, secouée de clameurs ! Puis les dames du ciel, celles qui tendent la main vers les âmes craintives, guideront les plus empressées vers les zones où rejoindre l’autre rive. C’est le moment où nous sommes prêts à recevoir le monde des ténèbres qui s’invite chez nous, des feux sont allumés. Ce sont les premiers feux de cheminée, les nuits s’éternisent, les ombres s’élargissent, les silences s’abattent par trombes d’angoisse !
Mais c’est aussi le moment où nous avons fait défiler devant nous ce que nous avons vécu les jours derniers tandis que nous pensons à ce que nous allons faire dans les jours prochains. Un temps cosmique où tout est suspendu, présent, passé, futur, pour une fois nous vivons un instant qui nous est donné de composer. C’est la préparation d’un nouveau cycle. Les feuilles orange, rouge vermillon, ocre d’or tombent comme autant de rappels de nos récoltes. Et quand la bourrasque brise les branches, c’est comme autant d’appels à se reconstruire.
Un cortège funèbre se disloque dans la brume.
Halloween, 2018
Ginette Flora
Halloween est passé mais pas le plaisir de lire (enfin !) ce très beau texte, Ginette !
"Des bonbons ou un texte ?" Je réponds sans hésitation : un texte de circonstance de mon amie, Ginette ! ^^
Toujours sympa de te lire, ta malle Ginette est si pleine, merci.