Depuis le 14 septembre 2024, le musée Camille Claudel, situé au 10 rue Gustave Flaubert à Nogent sur Marne, expose l’œuvre de Camille Claudel et tout particulièrement sa première grande œuvre monumentale en terre cuite, réalisée en 1886 sous le nom d’ « Abandon » et dont le thème est inspiré d’un mythe de la littérature indienne, orthographié" Shakountala ".
Nous nous alignons dans cette chronique sur l’orthographe communément présentée dans les médias culturels : Sakountala qui signifie en sanskrit « protégée des oiseaux ».
C’est un personnage que le poète Kalidasa qui a vécu entre le 4ème siècle et le 5ème siècle de notre ère, fait vivre à travers une pièce de théâtre dont le sujet est tiré de l’épopée indienne le « Mahabharata ».
Vers la fin du 19éme siècle, une nouvelle traduction remet le mythe au goût du jour. Camille Claudel n’y est pas insensible. Elle reconnaît la ferveur d’un couple qui se remet en question pour s’opposer à la fatalité. Elle entreprend de construire l’épisode final où les deux amants se retrouvent dans un élan qui comporte cette double offrande faite de pudeur et d’ardeur, d’abandon et d’adoration, d’attente et de vérité nue, toute la sincérité d’un mouvement corporel qui fixe toute l’œuvre de Camille Claudel.
C’est une œuvre révélatrice de l’esprit artistique de Camille. C’est aussi l’œuvre par laquelle s’affirme la plastique à la fois intimiste et expressive, pudique et expansive de l’artiste, son coup de poinçon, l’assurance de son gouge car Camille ne veut pas nier la force de ses sentiments.
Quelques critiques permettent d’entrer dans son univers, d’aborder l’essence de son art.
Le critique, historien de l’art, André Michel dit :
« Un sentiment profond de tendresse, chaste et passionné, je ne sais quel frémissement, et quelle ardeur contenue, quelle aspiration et quelle plainte étouffée. »
Camille Claudel s’attarde tout particulièrement sur les retrouvailles des deux amants qui s’étaient séparés et qu’un anneau gravé « Pour que l’on se souvienne » permet de les réunir après maintes mésaventures.
Son frère Paul Claudel dit d’elle :
« Il est impossible de voir rien à la fois de plus ardent et de plus chaste. »
Sakountala ou l’Abandon , l’œuvre admirée, critiquée puis oubliée.
Ce moment de la redécouverte de l’autre, Camille Claudel le fige d’abord par la terre cuite, ensuite par le plâtre puis par le marbre et enfin elle le coule en bronze.
Cette sculpture retrace la carrière de Camille qui en faisant plusieurs modèles de sa première esquisse incarne l’évolution de son génie à travers plusieurs matériaux.
Pourquoi le choix de ce mythe ? Le thème des amants séparés puis réunis lui permettait de développer son génie personnel qui est la science des attitudes.
L’instant vécu, tragique car il a vécu est cet instant fulgurant que Camille immortalise avec la pierre. Il deviendra son credo et plusieurs autres œuvres à venir le confirmeront comme la valse et la vieillesse.
En 1886 , c’est "l’Abandon"
L’esquisse en terre cuite et le nom qu’elle lui attribue sont la marque de l’union éperdue des deux amants qui se reconnaissent dans la vérité dépouillée d’un regard. On comprend ici pourquoi la matière brute et nue de la pierre peut prendre comme signification. C’est la vérité glabre, vraie de ce qui est intraduisible et qui enserre le cœur comme les griffes d’un aigle royal.
Elle n’a que 22 ans. Elle s’attelle à une tache puissante et ambitieuse car qui connaît Sakountala, cette pièce de théâtre écrite par le poète indien et hindou Kalidasa qui l'a tiré de l’épopée indienne du Mahabharata ?
La sculpture représente le roi implorant le pardon de Sakountala qui le couvre d’une tendresse retenue, la main repliée sur la poitrine en signe de pudeur.
« C’est un moment, c’est une éternité de tendresse ineffable et d’extase. » dit le critique Matias Morhardt, pour parler du geste d’un incroyable abandon intime que la sculptrice parvient à rendre sur la pierre.
La passion sensuelle et délicate de Camille se révèle dans les variations qu’elle opère sur cette sculpture.
En 1887, Camille réalise la même sculpture en grand plâtre.
En 1905, l’œuvre est réalisée dans du marbre et baptisée "Vertumne et Pomone" du nom des divinités champêtres romaines.
Puis, elle l’a déclinée en bronze.
Cette monumentale sculpture a défrayé la critique, a connu et vécu de succès et de polémiques puis il y eut la lente chute opaque et puis l’oubli s’en vint occulter cette partie de sa galerie.
C’est pourtant un élément d'un cycle autobiographique où elle s’appuie sur des œuvres symboliques pour révéler son moi intime.
Camille est l’artiste de l’instant qui jaillit, incendie, se cristallise et puis se fige dans le marbre comme dans l'éternité.
En 1975, l’œuvre est retrouvée et sauvegardée puis restaurée et exposée depuis 1995 au musée de Châteauroux .
En 2002, un spectacle de danse contemporaine intitulée Sakountala voit la danseuse Marie-Claude Pietragalla jouer le rôle de Sakountala dans une création du ballet national de Marseille.
Le 8 décembre 2024, le musée Camille Claudel célèbre les 160 ans de la naissance de la sculptrice à travers plusieurs manifestations culturelles dont l’exposition et la présentation d’un ballet de style bollywoodien avec décors, danses et répertoire musical reprenant le chant d’amour des amants séparés.
Le Spectacle Bollywood, au musée Camille Claudel Agora Michel Baroin Nogent-sur-Seine Aube est spécialement conçu pour l’exposition " Camille Claudel à l’œuvre Sakountala."
La troupe de danseurs et de danseuses aux costumes flamboyants de la compagnie de danse indienne Triwat s’est préparée pour donner un tourbillon d’émotions inspiré par les amours contrariés du roi Dushyanta et de la princesse Sakountala…
Samedi 30 Novembre 2024 À 20h45
La pièce de théâtre de Kalidasa : La reconnaissance de Sakountala
Une rétrospective de la pièce de théâtre Sakountala éclaire davantage l'inspiration de Camille Claudel.
C’est une pièce en 7 actes.
1/ Le roi Dushyanta tire sur une gazelle qui appartient au troupeau d’un ermitage. Le principal ermite lui demande de renoncer à la chasse. Au cours de son séjour, il rencontre Shakountala et en tombe amoureux. La jeune femme est piquée par une abeille et sauvée par le roi qui se fait passer pour un serviteur. La jeune femme s’attache à lui mais reste sur ses gardes. Le roi retarde son départ en restant dans le bois sacré de l’ermitage pour observer les allées et venues de la jeune femme.
2/ Les ermites lui demandent de ne plus chasser la faune ni de piétiner la flore. Le roi s’incline et offre sa protection lorsque les ermites sont attaqués par les démons. Le roi décide de prolonger son séjour a l’ermitage.
3/ C’est la scène de l’aveu où le roi cherche à se confirmer que ses sentiments sont partagés. Shakuntala grave sa lettre sur une fleur de lotus et la lit à haute voix. Le roi, convaincu, sort de sa cachette et se déclare. Shakountala reste réservée et très peu démonstrative. Le roi rentre dans son palais, appelé par sa charge.
4/ Le sage Duvasa jette un sort sur les amants et condamne le roi à oublier Shakountala. La malédiction prendra fin lorsque le roi verra un bijou qui le fera reconnaître. Or, avant de se séparer, le roi a donné à la jeune femme un anneau où sont gravés ces mots : « Pour que l’on se souvienne. »
5/ Shakountala arrive à la cour du roi pour lui annoncer qu’elle attend un enfant mais le roi ne la reconnaît pas. La jeune femme veut lui montrer l’anneau mais il est tombé dans l’étang sacré de Saci, l’épouse d’Indra. Désespérée, elle est prise sous la protection du chapelain qui veille sur elle jusqu’à la naissance de l’enfant dont il est dit qu’il sera le maître de l’univers sous le nom de Bharata. Puis on raconte que Shakountala a trouvé refuge dans une clairière divine.
6/ Un pêcheur trouve l’anneau dans le ventre du poisson qu’il a pêché. Il le montre au roi qui retrouve sa mémoire. Il se rend compte de ce qu’il a fait, se lamente, en perd même le goût de vivre.
7/ Le roi s’étourdit en guerroyant, remporte des victoires, étend les limites de son royaume pour noyer son chagrin. Shakountala observe la sincère repentance du roi du haut de son nuage divin.
Un jour, Dushyanta le roi est invité à se rendre dans un ermitage céleste. Là, il rencontre un petit garçon et sa mère. Le roi trouve l’amulette du garçon qui l’identifie comme étant le père de l’enfant. Shakountala explique la malédiction dont ils ont été victimes et annonce que leur fils Bharata est appelé à être le maître de l’univers.
Novembre 2024
Chronique de Ginette Flora
Depuis la lecture du livre d'Anne Delbée (1982) sur Camille Claudel, je reste boulversée par cette artiste. J'ai eu l'occasion de découvrir le musée qui lui est consacré à Nogent-sur- Marne. Alors un grand merci pour cette information très complète sur l'exposition "Sakountala".
Bon W.E. 🌞
Alice
J'adore Camille Claudel, son histoire, sa passion, sa vie ...et là, tu m'as juste régalée ... Merci encore !❤️